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Critique de fuji


Lu à sa sortie en 2009, j'ai eu envie de le relire avant de voir le film de Lucas Belvaux.
« Ce bloc de silence qui s'est rétracté » c'est Bernard, dit Feu-de-Bois, la soixantaine.
Il pue : l'alcool, le mauvais tabac, la crasse et la sueur des sentiments enfouis depuis trop longtemps.
Laurent Mauvignier va nous tracer cette histoire en quatre actes : l'après-midi, le soir, la nuit et le lendemain matin.
Vingt-quatre heure chrono dans la vie de ce village de la Bassée.
Une fête se prépare dans la salle municipale, Solange la soeur de Bernard a réuni famille et amis pour ses soixante ans et son départ à la retraite. C'est joyeux et Bernard arrive, il a fait des efforts il s'est mis sur « son 31 » enfin à sa façon. Chaque invité a déposé son petit cadeau mais lui attend à l'écart et s'approche de sa soeur, il extrait de sa poche un écrin. Tout le monde l'observe car il n'a pas les moyens, il vit plutôt comme un clochard.
La grogne monte, car certains l'ont aidé financièrement sans revoir leur argent alors cette dépense !
Solange est gênée, elle aussi, elle ne sait comment réagir, mais lui attend qu'elle montre le plaisir que lui procure cette broche offerte.
« Un bijou. Lui, il y avait pensé.il avait réfléchi et je trouve que c'était bien de sa part, non, vous trouvez pas, vous, de penser à sa soeur en se disant que personne d'autre lui offrirait un bijou comme ça parce qu'elle avait personne pour le faire ? »
C'est Rabut, le cousin qui raconte, principalement mais les voix du village s'entremêlent. Chacun y va de son chapelet pour faire le portrait de Bernard avant qu'il ne soit Feu-de-Bois et c'est glauque, aussi sale que la crasse qu'on lui attribue. Ça pue.
Un autre personnage Février va tempérer les souvenirs de cette sale guerre, il sera un contrepoint très important.
« Rabut. Pourquoi vous dites tout ça. C'est pas la peine de charger la barque. Il a pas besoin. Non ? Vous croyez pas ?
Ecoutez, Rabut, votre cousin il est ce qu'il est, mais quand il parle de vous, il dit pas de mal. Il dit le bachelier et ça le fait rire tout seul, mais c'est tout. »
A partir de là le récit est une résurgence, comme ces eaux souterraines qui ressortent à la surface.
Comme d'autres jeunes Bernard est envoyé en Algérie en 1960, quand il rentre, il ne revient pas au village, il s'installe en région parisienne, a une femme et deux enfants. Il les laissera quelques années plus tard, et s'installera dans la vielle masure de son oncle, qui abritera sa solitude, au mur accrochées quelques photos, pas de sa femme et de ses enfants, non, des photos de petits algériens et surtout celle d'une petite fille. Pourquoi est-il revenu ?
« Il travaille tous les jours à retaper sa maison et très vite on le voit qui rôde autour de la maison de sa mère, qu'il cherche à venir chez elle, qu'il attend, qu'il regarde, qu'il guette le moment où elle acceptera de lui parler. »
C'est une plongée en apnée dans les traumatismes de ceux qui reviennent de la boucherie des guerres. Ils ne disent rien de ce qu'ils ont vécu mais on ne sollicite pas leur parole, ils sont revenus c'est bien mais la collectivité ne veut pas savoir.
Des blessures gravées dans le marbre de leur chair.
Laurent Mauvignier fait un récit tendu à l'extrême avec une polyphonie qui parfois se noie dans une cacophonie pour révéler, cacher ?
Il dit la tragédie, il donne la parole aux sans-voix. Ces anonymes, ceux qui se fondent dans la masse pour faire de la chair à canon, de la main-d'oeuvre pas chère, et sous sa plume ils sont là, individualisés et humains.
Bernard le mutique, feu-de-Bois l'explosif, c'est un destin dans la grande Histoire.
Le silence comme une chappe de plomb, et le lecteur ne lit pas ce livre, il écoute, il reçoit.
Ecrire les non-dits pour plus de réalité.
Cette guerre et l'Algérie, cet enfer quotidien auquel rien ne les avait préparés, cette barbarie sans mots… Des trahisons de tous côtés. Cela détruit, lamine indéfiniment à l'intérieur.
C'est un livre bouleversant car le monstre se révèle et il a encaissé depuis l'enfance, personne ne naît pour être seul.
©Chantal Lafon
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