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Critique de Brooklyn_by_the_sea


Tout ça, c'est la faute à Bernard. Qu'est-ce qui lui a pris, bon sang !, de gâcher la fête d'anniversaire de sa soeur, et d'aller faire l'andouille chez l'autre, là-bas ? L'Algérie ?! Quoi, l'Algérie ? Qu'est-ce qu'il raconte, Rabut, le cousin qui va perdre le sommeil à ressasser toute la nuit les "événements d'Algérie", tels que Bernard et lui les ont vécus, alors qu'ils n'étaient que de jeunes paysans mal dégrossis qui se sont brutalement retrouvés sous le soleil aveuglant d'Oran ?
Laurent Mauvignier raconte de façon magistrale la Guerre d'Algérie et ses ravages, de l'intérieur de ces pioupious fracassés qui ne savaient pas à quoi s'attendre du haut de leurs 20 ans, qui se demandaient pourquoi "les gens ici on leur fait la guerre et on dit la paix", et qui finissaient par comprendre que "la guerre c'est toujours les salauds qui la font à des types bien et que les types bien là il n'y en avait pas, c'était des hommes, c'est tout." Et l'auteur tisse son récit autour du silence assourdissant, épais comme le doute et la peur, qui les enveloppe, silence des émotions et des interrogations, silence des témoins et des coupables, silence de la Grande Muette, silence de l'indifférence lors du retour au pays.
D'ailleurs, même les dialogues sont feutrés, sans ponctuation distinctive, comme des voix étouffées au fond de gorges nouées depuis toutes ces années. Car outre ce qu'il relate, c'est la façon dont Mauvignier raconte qui m'a mise à genoux : quelle virtuosité et quelle maîtrise dans le style ! Peu importe si l'on peine momentanément à savoir dans quels souvenirs on est plongé, on est emporté par leur flux vif et continu ; il y a tant à dire, chez ces hommes que personne ne veut écouter.
Sans rien justifier ni excuser, l'auteur rend une forme d'hommage à cette génération de conscrits sacrifiés, qui n'avaient rien demandé et se sont retrouvés embarqués pendant 28 mois ( ! ) dans une guerre qui ne disait pas son nom, en un territoire français inconnu d'eux (qui n'avaient pratiquement jamais quitté leur village boueux de métropole), et qui sont revenus défaits -et surtout brisés.
C'est donc un roman "énorme" par ce morceau d'Histoire qu'il relate, par la densité et la puissance des émotions qu'il retranscrit, et par la prouesse de son écriture. Une lecture très forte, dont je ne suis pas sortie indemne. Et un auteur auquel je vais m'intéresser d'un peu plus près.
Amateurs d'Histoire et frères humains qui après eux vivez, faites-vous plaisir : lisez ce roman qui vous éblouira !
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