les silences succédaient aux chuchotis et permettaient à chacun de faire ses comptes.
Il entra sans précaution dans la chambre mortuaire. Peu importe s'il faisait du bruit, s'il ne respectait pas les convenances ! Pour une fois, il avait ouvert une porte normalement. Et il allait faire face à son père, sans crainte. Emilie, assise à côté du lit, le rabroua :
- Tu pourrais avoir un peu de respect ! C'est ton père tout de même !
Lionel s'affala dans l'unique fauteuil de la pièce, d'un vieux cuir usé, noirci. Celui du grand Fred. Là où il fumait sa dernière cigarette, le soir, avant de se coucher. Là où il s'asseyait, les bras à plat sur les accoudoirs, les jambes croisées, pour l'engueuler en le laissant debout. L'un de ces innombrables endroits sacrés qu'il connaissait depuis l'enfance et qui avaient fabriqués sa peur. Il en existait partout, ici ou dehors. Tout était sacré à Beaupré. On ne pouvait pas faire un pas sans qu'il vous demande de respecter ceci ou cela.
Raffin toussota quand il eut terminé la lecture. Aussi stupéfait que les autres ! Fred se montrait un remarquable metteur en scène posthume. Le notaire comprenait maintenant pourquoi celui-ci avait refusé de lui confier le contenu de l'enveloppe. Un vrai tordu, mais quel panache ! Il les regarda en se retenant de rire.