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Critique de Malaura


Une illustration de couverture, vieille barque fichée dans le sable, baignée de couleur bleue, très pâle, presque grise, avec la mer au loin comme une ligne blanche qui se confond avec l'horizon.
Un titre, « La mer, le matin », et le sentiment de paix grave, d'apaisement mélancolique, de sérénité triste que les deux mots accolés produisent au creux de l'oreille lorsqu'on les prononce à voix haute, comme un murmure de vagues dans l'aube naissante.
Un premier paragraphe : « Farid n'a jamais vu la mer, il n'a jamais mis les pieds dans l'eau. Il se l'est imaginée des milliers de fois. Piquée d'étoile comme le manteau d'un pacha. Bleue comme le mur bleu de la ville morte. »
Et l'envie de plonger dans les remous de la lecture…

C'est un livre qui parle de la Lybie et de l'Italie. de leur destin commun. de leur passé partagé. du sang qui abreuve leur sol. Histoire lourde, d'amour et de haine, de partage, de violence, de chaleur, d'amertume. Histoire de guerre et de colonialisme que ces deux pays détiennent en héritage, par-delà les flots bleus de la Méditerranée.
Et comme toujours, la grande Histoire qui télescope la petite, et qui va broyer des destins, et écraser des vies, et malmener des êtres, dans des récits d'exil, de déracinement, de déchirure.
Lybie et Italie, deux terres qui seront tour à tour soeurs ou ennemies, complices ou rivales, adversaires ou associées, toutes deux laissant la marque de leur histoire creusée comme une cicatrice dans les vies de Jamila et d'Angela, les deux mères-courage de « La mer, la matin ».

Tandis que Jamila et son petit garçon Farid s'embarquent sur un bateau de fortune pour tenter de joindre la Sicile, contraints de fuir la Lybie depuis que la guerre civile a éclaté, Angela et son fils Vito ont entrepris le voyage inverse. Peu avant que le pays ne sombre dans le chaos, profitant des relations cordiales entretenues entre Kadhafi et Berlusconi, ils ont quitté les côtes siciliennes pour accoster sur les rives de Lybie, un pays qu'Angela connaît bien puisqu'elle y a vécu les onze premières années de sa vie. Angela fait partie de cette catégorie d'italiens de Tripoli dont les grands-parents ont débarqué en Lybie avec la vague migratoire des années 1930. Ils s'y sont installés, y ont bâti leur vie, ont aimé ce pays qu'ils ont fait leur, avant que d'en être expulsé dans les années 1970 par le « Bébouin de la Syrte », Kadhafi. Dans le coeur alors et pour toujours « le mal d'Afrique », la nostalgie chevillée au corps, l'impossibilité d'oublier et pour les plus anciens de ces pauvres gens, l'incapacité de se réadapter avec ce sentiment lancinant qu'on leur a volé leur vie.

La mer est partout dans ce beau livre de la romancière italienne Margaret Mazzantini ; une étendue bleue dont la respiration s'accorde au rythme des êtres qui ont subi l'exil et dont les yeux ne cessent de se perdre vers l'horizon. C'est ce qui le rend si attirant, si secrètement vibrant et lumineux.
Si le sujet est grave, le style de Margaret Mazzantini ne nous fait pas pour autant naviguer en mer hauturière ; sa langue s'écoule plutôt avec mesure, comme un bruit régulier de ressac, le renflement permanent d'une écriture sobre et concise, distillée tantôt âprement, tantôt avec douceur et nostalgie, elle s'harmonise au feulement des vagues sur le sable, au bruissement du sable sur les rivages de Lybie et d'Italie.
Une poésie discrète, frugale, sourd de ces phrases chargées de sel marin ; force tranquille, ravageuse. Comme l'eau, l'écriture de Mazzantini est parfois souple comme un duvet de plumes, tantôt rigide et dure comme un mur de béton, mais toujours puissamment évocatrice.
Imprimée en creux comme une empreinte dans le sable, la détresse émerge avec la nonchalance feinte qui se cache derrière les sentiments les plus exacerbés et jaillit du dépouillement avec la force d'une déferlante, laissant le lecteur immergé dans un flot d'émotions brutes.
Car il règne dans « La mer, le matin » comme un faux temps suspendu, le calme menaçant d'une mer étale d'avant la tempête, tranquillité de façade, aura de lenteur qui envoûtent le lecteur dans un déferlement mousseux de vaguelettes jusqu'au retour de lame, froid et brutal comme une eau glacée, une mer qui de bleue se fait noire, destructrice, dévoreuse d'âmes, broyant les misérables rafiots qui entreprennent la traversée du dernier espoir, noyant les espérances, submergeant les attentes, engloutissant les rêves.

Jamila, Angela, Farid, Vito…des destins qui se croisent dans la violence d'un pays livré à la barbarie d'un dictateur, des personnages poignants dont la vie s'abîme dans le fracas des vagues, des êtres qui ne laisseront de leur passage qu'une petite amulette ensevelie dans le sable.
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