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Critique de berni_29


D'os et de lumière est un roman surprenant dans la forme. Mike Mc Cormack y raconte la vie d'un homme, Marcus Conway, ingénieur de son état. Nous sommes en Irlande, en 2008, précisément dans le village de Louisburgh appartenant au comté de Mayo, terre empreinte de martyrs, de fantômes et de vestiges religieux. Jusque là rien de bien original.
Sauf que le récit est une longue phrase de 350 pages, d'un seul tenant ou presque, qui nous plonge dans la tête du narrateur durant une heure. Un peu plus pour le lecteur, je tiens à vous rassurer !
C'est une phrase unique, sans un seul point, comme suspendue au-dessus du vide, une longue phrase mentale avec cependant des respirations. Ces respirations, ce sont de longs paragraphes qui rebondissent comme des ricochets, agissent comme des ruptures, des retours à la ligne. D'une tranche de vie à l'autre nous sautons presque à pieds joints dans le flux discordant de la pensée du narrateur. J'ai trouvé le procédé plutôt déconcertant au premier abord, il prête parfois à sourire, car les liaisons d'un segment à l'autre sont parfois hasardeuses, autant de chemins tortueux, tourmentés, qui peuvent traverser les fragments d'une vie. Cependant, au final il reste la sensation de quelque chose d'harmonieux, comme des vies agrégées, des morceaux de puzzle qui s'assemblent et qui tiennent, prennent corps par leurs coutures...
Nous somme dans le flux de conscience d'un homme assis dans sa cuisine, écoutant la radio. Il écoute les informations, le monde tel qu'il est, tel qu'il va, ou plutôt tel qu'il ne va plus. Il y a quelque chose de chaotique dans ce monde abimé par les dérèglements climatiques, les crashs boursiers, les injustices, les guerres, les corruptions locales et même l'intoxication alimentaire qui touche certains habitants du comté, dont son épouse...
C'est alors que tout vient comme une vague, un flot de pensées. Parfois cela passe du coq à l'âne, ce n'est pas gênant, une pensée s'accroche à une autre, on déroule le fil, cela prend forme peu à peu.
Des souvenirs d'enfance s'invitent tout d'abord, il se souvient de son père et brusquement c'est l'image d'un tracteur désossé par ce dernier dans un hangar à foin et c'est la réalité brutale avec le monde tel qu'il est, un choc qui fut presque métaphysique pour l'enfant. Je ne regarderai plus jamais un Masey Ferguson de la même manière !
Durant une heure, c'est-à-dire jusqu'au bulletin d'information de treize heures, jusqu'au dénouement final, nous voyageons de l'intime de ses proches à la société dans laquelle son métier le confronte chaque jour avec la vacuité du monde, le temps politique. Car le temps d'un ingénieur, préoccupé par la solidité des édifices dans la durée, et donc par la sécurité en quelque sorte, n'est pas le même que celui d'un homme politique, préoccupé quant à lui de la satisfaction immédiate de ses électeurs et de la capacité à se faire réélire...
C'est un roman qui parle de l'effondrement, celui de nos vies et celui du monde économique, celui du monde tout court, celui des lieux où s'élèvent des ponts, des écoles. Parfois les fondations sont fragiles parce qu'on n'y a pas prêté l'attention nécessaire, ou bien parce qu'on n'a pas voulu...
Durant toute son existence, cet homme a passé son temps à élever des digues pour empêcher les effondrements autour de soi. Il reconnaît parfois ses torts, ses erreurs ; ses introspections sont des moments touchants de tendresse, d'humilité, de poésie aussi. La beauté de l'Irlande, son âme celtique, ne sont jamais loin...
Pour autant, le roman n'est pas pessimiste. Il tend peut-être à nous dire autre chose, sans forcément délivrer de messages. Aimer les ingénieurs et toutes celles et ceux qui leur ressemblent, qui continuent de dresser des digues malgré la vacuité du monde...
Et peu à peu, si vous tenez bon sur la vague de cette phrase, vous comprendrez peut-être alors toute la richesse narrative déployée par le récit, cette manière mystique et quasiment magique de désosser le passé, d'agréger les souvenirs intimes d'une vie ordinaire pour les mettre en lumière avec la perspective du monde qui les porte et les emporte, laisser cette lumière faire le travail d'assemblage et de couture, dans une écriture qui se déplie au rythme d'un coeur qui bat, jusqu'à son retournement.
Il y a peut-être une forme de poésie qui sommeille dans nos vies ordinaires, façonnées de rêves fragiles, d'émerveillement et d'indignation, un peu comme les fondations d'un pont...
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