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sur 57 notes
Louisburgh, Irlande, de nos jours. Plus précisément le 2 novembre, et cela n'est pas anodin. Il est midi, les cloches de l'église sonnent l'angélus. Marcus Conway, la cinquantaine, est chez lui dans sa cuisine, il attend le retour de sa femme et de leurs deux enfants. Ils se sont absentés pour une heure, pendant laquelle Marcus, pris d'une étrange fébrilité, se remémore sa vie. Ingénieur en génie civil, employé à l'administration de la ville voisine, il se rappelle son travail, les prises de bec avec la hiérarchie et les élus locaux, plus soucieux de leur popularité à court terme et de leur réélection que de la longévité des bâtiments et des routes qu'ils demandent à Marcus de mettre en chantier. Il nous parle aussi de sa famille, de sa relation au fil des années avec son père et sa soeur, de sa rencontre avec Mairead, de leurs 25 ans de mariage, de leur fille artiste plasticienne, et de leur fils parti bourlinguer en Australie. Puis enfin, de l'énorme accident sanitaire qui empoisonne l'eau de distribution, contaminant des centaines de personnes, dont Mairead, et de la façon dont Marcus s'occupe de son épouse au long de sa maladie.

"D'os et de lumière" fait partie de ces romans qu'on devrait lire une seconde fois, parce que leur fin leur donne un nouvel éclairage et en modifie (en améliore) la compréhension. Pendant ma lecture, je ne comprenais pas la fébrilité de cet homme, son urgence à se raconter qui me laissait penser qu'il était sur le point de mourir et que sa vie défilait sous ses yeux par flashes, sans chronologie. Je me trompais. Ceci dit, si ce roman est remarquable pour sa fin (n'allez surtout pas lire la quatrième de couverture de l'édition originale chez Tramppress, un incompréhensible spoiler), il l'est aussi pour son style, que tout le monde n'appréciera pas. Les 200 pages (édition numérique) ne constituent qu'une seule phrase. Ou plus exactement, elles ne comportent aucun point, pas même un point final (et cela n'est sans doute pas anodin). Mais il ne faudrait pas s'arrêter à cela, ni aux renvois à la ligne intempestifs, en tout cas cela ne m'a pas gênée dans ma lecture. le texte est découpé en paragraphes et permet les pauses. Il rend parfaitement l'impression de quelqu'un qui serait perdu dans ses réflexions, passant d'un sujet à l'autre sans linéarité, dont la pensée fonctionnerait par association d'idées. Un très bon exemple d'écriture en courant (ou flux) de conscience.
Ancré dans l'histoire récente de l'Irlande et du déclin du Tigre celtique, ce livre nous parle de l'intime (famille, amour, mort) et de la société (politique, corruption, médias). Il parle surtout de la fragilité de la vie et de ce qu'on construit. de mots et de lumière, ce roman est aussi fait d'émotion, de tendresse, d'intégrité et de saine colère, de nostalgie. Un texte poétique, hanté, en suspension, écrit au rythme d'un coeur inquiet et désemparé.

En partenariat avec les éditions Grasset via Netgalley.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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D'os et de lumière est un récit mystique, métaphysique, cosmique, poétique, un flot de mots furieux, tantôt bercé par la grâce, tantôt soulevé par l'injustice du monde contemporain qui, à l'image d'une machine rouillée, s'enraye au désespoir du narrateur, ingénieur honnête et chevronné, oui, un monde que son concepteur présumé – j'ai nommé Dieu – semble avoir abandonné à son propre délabrement, mais à cet état des lieux l'ingénieur ne se résout pas, il souffre, tel un Deus ex machina impuissant devant le dérèglement des choses (le tracteur de son père, la voiture de sa femme, le dallage de l'école, l'approvisionnement défectueux en eau de la ville), lui qui rêve d'harmonie, lui qui fustige les politiques responsables de nos malheurs et des guerres après lesquelles ceux de sa trempe, les ingénieurs, ont le devoir de reconstruire, de perpétuer l'ordre des choses et d'empêcher l'irréversibilité d'un chaos qui se manifeste dans chaque détail insignifiant de nos vies, comme ce jour où Marcus, notre ingénieur, enfin soulagé du poids de son existence et accédant à une forme de plénitude, ressent une insignifiante douleur à la poitrine, écho de la fragilité de son être, miroir déformé de ce monde vacillant dont Mike McCormack décrit si bien l'évidente décrépitude dans un texte endiablé, minutieux, exalté et d'une stupéfiante maîtrise que l'absence totale de ponctuation rend haletant, et que j'ai tenté de reproduire ici dans cette chronique sans avoir la certitude d'y être parvenue
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D'os et de lumière est un roman surprenant dans la forme. Mike Mc Cormack y raconte la vie d'un homme, Marcus Conway, ingénieur de son état. Nous sommes en Irlande, en 2008, précisément dans le village de Louisburgh appartenant au comté de Mayo, terre empreinte de martyrs, de fantômes et de vestiges religieux. Jusque là rien de bien original.
Sauf que le récit est une longue phrase de 350 pages, d'un seul tenant ou presque, qui nous plonge dans la tête du narrateur durant une heure. Un peu plus pour le lecteur, je tiens à vous rassurer !
C'est une phrase unique, sans un seul point, comme suspendue au-dessus du vide, une longue phrase mentale avec cependant des respirations. Ces respirations, ce sont de longs paragraphes qui rebondissent comme des ricochets, agissent comme des ruptures, des retours à la ligne. D'une tranche de vie à l'autre nous sautons presque à pieds joints dans le flux discordant de la pensée du narrateur. J'ai trouvé le procédé plutôt déconcertant au premier abord, il prête parfois à sourire, car les liaisons d'un segment à l'autre sont parfois hasardeuses, autant de chemins tortueux, tourmentés, qui peuvent traverser les fragments d'une vie. Cependant, au final il reste la sensation de quelque chose d'harmonieux, comme des vies agrégées, des morceaux de puzzle qui s'assemblent et qui tiennent, prennent corps par leurs coutures...
Nous somme dans le flux de conscience d'un homme assis dans sa cuisine, écoutant la radio. Il écoute les informations, le monde tel qu'il est, tel qu'il va, ou plutôt tel qu'il ne va plus. Il y a quelque chose de chaotique dans ce monde abimé par les dérèglements climatiques, les crashs boursiers, les injustices, les guerres, les corruptions locales et même l'intoxication alimentaire qui touche certains habitants du comté, dont son épouse...
C'est alors que tout vient comme une vague, un flot de pensées. Parfois cela passe du coq à l'âne, ce n'est pas gênant, une pensée s'accroche à une autre, on déroule le fil, cela prend forme peu à peu.
Des souvenirs d'enfance s'invitent tout d'abord, il se souvient de son père et brusquement c'est l'image d'un tracteur désossé par ce dernier dans un hangar à foin et c'est la réalité brutale avec le monde tel qu'il est, un choc qui fut presque métaphysique pour l'enfant. Je ne regarderai plus jamais un Masey Ferguson de la même manière !
Durant une heure, c'est-à-dire jusqu'au bulletin d'information de treize heures, jusqu'au dénouement final, nous voyageons de l'intime de ses proches à la société dans laquelle son métier le confronte chaque jour avec la vacuité du monde, le temps politique. Car le temps d'un ingénieur, préoccupé par la solidité des édifices dans la durée, et donc par la sécurité en quelque sorte, n'est pas le même que celui d'un homme politique, préoccupé quant à lui de la satisfaction immédiate de ses électeurs et de la capacité à se faire réélire...
C'est un roman qui parle de l'effondrement, celui de nos vies et celui du monde économique, celui du monde tout court, celui des lieux où s'élèvent des ponts, des écoles. Parfois les fondations sont fragiles parce qu'on n'y a pas prêté l'attention nécessaire, ou bien parce qu'on n'a pas voulu...
Durant toute son existence, cet homme a passé son temps à élever des digues pour empêcher les effondrements autour de soi. Il reconnaît parfois ses torts, ses erreurs ; ses introspections sont des moments touchants de tendresse, d'humilité, de poésie aussi. La beauté de l'Irlande, son âme celtique, ne sont jamais loin...
Pour autant, le roman n'est pas pessimiste. Il tend peut-être à nous dire autre chose, sans forcément délivrer de messages. Aimer les ingénieurs et toutes celles et ceux qui leur ressemblent, qui continuent de dresser des digues malgré la vacuité du monde...
Et peu à peu, si vous tenez bon sur la vague de cette phrase, vous comprendrez peut-être alors toute la richesse narrative déployée par le récit, cette manière mystique et quasiment magique de désosser le passé, d'agréger les souvenirs intimes d'une vie ordinaire pour les mettre en lumière avec la perspective du monde qui les porte et les emporte, laisser cette lumière faire le travail d'assemblage et de couture, dans une écriture qui se déplie au rythme d'un coeur qui bat, jusqu'à son retournement.
Il y a peut-être une forme de poésie qui sommeille dans nos vies ordinaires, façonnées de rêves fragiles, d'émerveillement et d'indignation, un peu comme les fondations d'un pont...
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À la périphérie du village irlandais de Louisburgh situé dans le comté de Mayo, une maison, une cuisine d'où l'on entend sonner les coups de midi qui ébranlent la cloche de l'église. Marcus est là, dans cette pièce, après avoir parcouru la maison vide. Quatre heures à tuer avant le retour de Mairead, sa femme. Des heures qu'il va falloir occuper. le journal est là, sûrement acheté par Mairead, il donne la date du 2 novembre.

Les pensées de Marcus arrivent, emplissent les pages sans se soucier d'une quelconque interruption, ni suivre une forme classique de ponctuation. Seules les virgules sont présentes ainsi que des sauts à la ligne pour marquer des semblants de pauses dans ce flot continu. L'absence de points est finalement loin d'être gênante et se calque à merveille sur ce processus ininterrompu que forme la pensée qui défile dans le cerveau de Marcus, comme dans tout esprit humain. le fil suit une idée, un souvenir, un fait marquant de l'actualité puis dévie, se perd parfois et revient ensuite sur sa première trace.
Un article du journal fait un retour sur l'effondrement économique qui a mis à mal tout le système bancaire du pays. Un autre article amène à penser aux particularités qui s'attachent au comté de Mayo comme cet ancien projet industriel polluant dont les bâtiments qui doivent être repris sont truffés d'amiante. Marcus pense alors à son père, emporté par le souvenir des dimanches soirs où il l'accompagnait au minibus qui emmenait le travailleur vers la construction de ces locaux.
Le métier d'ingénieur du génie civil de Marcus lui fait considérer l'instabilité et la précarité de certaines constructions, avec des parallèles sur l'effondrement inéluctable de l'homme. de nombreuses réflexions se télescopent avec force, sur notre monde construit par les politiciens, sur la religion, l'art, ou sur la place du citoyen dans une communauté. Et lorsqu'un problème sanitaire touche la santé de sa femme, accoutumé à se nourrir intensément d'infos, notre narrateur se voit alors comme un maillon pris dans un monde où les décisions des uns ont finalement des répercussions au sein même de son quotidien.
Ses pensées le ramènent bien souvent vers sa femme, leur rencontre, leur mariage et les bonheurs ou déconvenues du couple. Sa fille Agnès et son fils Darragh sont aussi sujets de préoccupations quant à son rôle de père.

Au fur et à mesure de notre navigation dans les méandres de la pensée de Marcus, une tension sous-jacente nous fait percevoir une forme d'urgence dans son quotidien. Par ses propos d'une extrême précision, son anxiété rejaillit sur la lecture, accentuée par la longueur de cette phrase de 275 pages qui n'aura pas de point final. Dans ce soliloque sans début ni fin, en cette journée grise de novembre, sur cette côte occidentale irlandaise, l'actualité du jour ainsi que celle d'hier, les souvenirs anciens et ceux du début d'année s'enchaînent et constituent tout ce qui fait la vie d'un homme.
Cette lecture peut être déstabilisante au niveau de la forme mais cette forme-là retranscrit parfaitement la ligne ininterrompue de la pensée humaine et j'ai donc trouvé l'exercice osé mais tout à fait approprié. Avec un vocabulaire des plus pointu, l'auteur signe ici un livre marquant mettant en lumière les petits détails qui font la beauté de la vie juxtaposés à des considérations plus métaphysiques de notre monde et de la vie en général.
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D'os et de lumières de Mike McCormack est un roman qui m'a été envoyé via net galley par les éditions Grasset, que je remercie.
Nous sommes le 2 novembre dans le village de Louisburgh, en Irlande.
Pendant une heure, jusqu'au prochain bulletin d'information, Marcus se remémore sa vie depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte, sa vie de fils, de mari, de père, d'ingénieur du génie civil. Il désosse son passé comme il observe les ponts, d'un regard aussi rationnel qu'émerveillé....
D'os et de lumières est un roman de la rentrée littéraire de janvier 2019 qui me tentait énormément. Malheureusement pour moi, cette lecture fût compliquée et laborieuse !
J'ai trouvé le contenu intéressant, j'ai apprécié de découvrir la vie de Marcus, son point de vue, ses pensées.
Mais là où, pour moi, ça pêche... c'est sur le style. Ce roman est écrit d'une traite, sans un seul point. Et il m'a vraiment fallut m'accrocher pour ne pas cesser ma lecture car cette absence de ponctuation m'a réellement dérangé.
Je l'ai lu en numérique, je me dit que si je le trouve à la bibliothèque je tenterait peut-être de le relire au format papier, j'accrocherais peut-être mieux ! Et avec ce genre d'ouvrage très particulier, une seconde lecture pourrait valoir le coup.
Je ne regrette pas ma lecture car le contenu est très intéressant, j'ai apprécié de découvrir l'Irlande, le personnage de Marcus.
A cause du style, j'ai quand même l'impression d'être un peu (beaucoup ?) passé à coté de ma lecture.
Ma note : trois étoiles.
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Voici un roman pour le peu surprenant ! Difficile de le définir, autant il est intéressant pour le récit, et le personnage de Marcus que j'ai bien apprécié, autant la lecture n'est pas simple. Comme une sensation d'étouffement, car pas de virgule ni de point, on oublie de respirer, et pas de chapitre pour se dire ! bon je continuerai demain. Alors, on lit, lit, lit, et on n'a pas très envie de s'arrêter, car un mot invite un autre et ainsi de suite. Pour autant, la lecture fut également longue, allez comprendre quelque chose.
C'est une expérience de lecture à faire, mais pas certaine que ça plaise à un grand public. Il faut vraiment s'accrocher au texte pour aller au bout du voyage. Certains passages m'ont moins passionnés, tout le côté magouille, technique etc...
Par moments je me demandais si le roman n'allait pas vers une dystopie avec cette histoire d'eau contaminée. Mais non.
Voilà donc une lecture étrange, originale mais pas simple.
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Écrire tout un roman d'une seule phrase, d'un seul souffle, sans jamais poser un point est bien plus qu'une contrainte stylistique.

J'imagine que pour l'auteur, c'est la forme qui s'est imposée comme la plus en adéquation avec ce moment suspendu que nous lecteurs nous vivons en compagnie de Marcus Conway.

Au début , le style peut paraitre assez déroutant on a l'impression de retenir ma respiration, l'impression aussi que les pensées qui traversent la tête de cet ingénieur irlandais de 48 ans étaient désordonnées, même si le fil narratif nous ramène toujours à une table de cuisine où Marcus est assis. J'ai compris pourquoi en lisant les toutes dernières pages.

D'os et de lumière est ce genre de livres qu on a envie de relire à la lumière justement du dénouement.

Pas vraiment d'histoire mais l'évocation de souvenirs plus ou moins anciens, les relations avec son père, ses enfants, sa vie de couple, sa vie professionnelle.

Dit comme ça cela pourrait paraître banal, plat voire ennuyeux mais Mike McCormack a le talent de faire naître très vite des scènes sous nos yeux : le père qui veut absolument démonter le moteur de son tracteur pour "saisir intimement en quoi il mettait sa confiance", l'annonce de la grossesse ou plus tard cette période de la vie où un couple avec enfants retrouve une intimité difficile à conserver..

Tout est juste, le regard est éminement tendre et juste. Malgré ce méli mélo de pensées, il y a un crescendo romanesque quand Mairead sa femme est victime d'intoxication alimentaire comme un pourcentage élevé de la ville et qu il doit veiller sur elle. L'occasion de quelques coups bien sentis envers le corps politique et sa logique.

On aime aussi le fait que l'atmosphère soit "irlandaise", ces terres verdoyantes et pluvieuses, et ce fut un très beau voyage dans la vie de cet homme et de cette Irlande aussi mystérieuse que poignante.

Et l'on s'en souviendra, de ce portait de cet homme et bien sur cette forme si singulière (bravo à son traducteur Nicolas Richard qui a également traduit Patti Smith et Richard Powers et qui s'y connait donc en musicalité particulière ).
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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D'os et de lumière de Mike McCormack chez Grasset , janvier 2019, #DosEtDeLumière #NetGalleyFrance
Rarement un livre m'aura accompagnée aussi longtemps, page après page, j'ai savouré cette écriture lumineuse, dégusté ses lignes , repris certains pages, refusant d'aller trop vite ne sachant pas encore pourquoi mais maintenant que j'ai laissé Marcus sur le bord du chemin je sais que j'ai bien fait d'en profiter.Comté de Mayo, Irlande de l'Ouest, un homme est assis seul dans sa cuisine, la cloche sonne, l'angelus de midi. Il attend le retour de sa femme et celui de ses enfants.
Sa pensée va vient, un souvenir en amenant un autre , passé présent, enfance âge adulte, épouse enfants, métier politique, maison monde. Les idées, les pensées se frôlent, se percutent parfois mais tout se tient.
Certes ce texte s'égraine sans points mais qu'importe les premières lignes lues la musique des phrases s'impose. Un roman magnifique , sensible, intelligent et plein d'humanité. Un très grand moment de lecture je n'aurais qu'une envie que ce roman soit lu et relu.
Un très grand merci aux éditions Grasset pour ce partage.
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Les amis, voici venu mon premier coup de coeur irlandais de l'année !

Nous sommes le 2 novembre, « ces grises journées après la fête de Samhain quand les âmes des morts sont autorisées par les prières des fidèles à sortir du purgatoire pendant un certain temps afin de pouvoir retourner chez elles ». Marcus Conway, ingénieur, cinquante ans, est assis dans sa cuisine à la sortie de Louisburgh dans le Comté de Mayo, sur la côte ouest de l'Irlande. Ce midi, quand les cloches ont commencé à sonner l'angélus, un vertige l'a pris. Seul dans sa maison, il a quatre heures à attendre avant que sa femme Mairead ne rentre du travail. Ses deux enfants, Agnes et Darragh sont grands maintenant, ils ne vivent plus ici. Marcus lit le journal et de fil en aiguille, un article amenant des souvenirs, des rappels de lieux, un voyage, son père, nous sommes emportés dans son flux de conscience.

« tout ceci me revient à l'esprit maintenant en un torrent ininterrompu
assis à cette table
des visages des mots et toutes sortes de fragments dégringolent en moi, dans des abîmes branlants et entrelacés »

Dans A la ligne de Joseph Ponthus, il n'y avait pas de points, mais des majuscules et des lignes passées. Ici, non. D'os et de lumière est en quelque sorte une seule longue phrase de 350 pages. Et vous voulez que je vous dise ? Ca fonctionne à merveille. Cette forme nous rapproche de Marcus. Je m'explique. Comme il est un peu difficile, sans fin de chapitre, de trouver où s'arrêter dans sa lecture… mais bon, n'exagérons rien, Mike McCormack aère souvent son propos, il va à la ligne – mais n'en passe jamais -, parfois même tous les quelques mots, comme notre esprit quand il réfléchit, qui pause sur une idée en particulier. Alors du coup quand on s'arrête, c'est souvent sur ces mots charnières, toujours en lien entre deux idées – jamais de coq à l'âne dans ce livre. Et alors, lorsqu'on reprend notre lecture, vraiment, c'est comme reprendre une conversation en cours. Et puis très vite, Marcus étant vraiment un gars chouette, c'est comme si on retrouvait un ami.

« une fois encore je perds le fil
emporté par les souvenirs »

Marcus a une vie d'irlandais moyen d'aujourd'hui, ni banale, ni extravagante. Sa femme est une intellectuelle brillante, sa fille une artiste prometteuse mais dont le parcours l'inquiète un peu, son fils parti barouder avec des amis en Australie cherche encore sa voie et ils se prennent souvent la tête, il admirait énormément son père fermier, qui a été emporté par une crise de démence à la mort de sa mère. On a hâte que Marcus continue à dérouler sa vie et ses souvenirs devant nous. C'est un homme ancré dans sa terre, dans son pays, dans son village. Résultats sportifs, politique du comté, nécrologie locale à la radio. Toutes les voitures qui passent devant chez lui le matin, il sait qui conduit, qui va où et pourquoi. C'est ce genre de type, Marcus. Il est bien dans sa vie. Et nous aussi, du coup.

« homme et garçon, père et fils, mari et ingénieur »

Son esprit butine dans l'espace et le temps, les événements marquants de sa vie et des derniers mois, la première expo solo de sa fille, ses conversations sur Skype avec son fils, son travail d'ingénieur. C'est vraiment bien écrit. Fluide, précis, la traduction est splendide, ça se lit sans qu'on y prenne garde, comme d'écouter quelqu'un avec une voix agréable, et même si par moments notre propre esprit partirait presque de son côté, dans ses associations d'idées à lui, non, hop, Mike McCormack soudain va à la ligne entre deux mots, tiens mais pourquoi, pourquoi ici, ah d'accord, et nous voilà recentrés habilement sur ces pages, de chair et de sang, d'os et de lumière.

Je me suis régalée, un coup de coeur, une connexion. Souffle, humanité, poésie, humilité, introspection. D'os et de lumière m'a attrapée, ne m'a plus lâchée, la fin m'a bouleversée. Un livre élégant et profond. Je vous conseille ardemment de lire les premières pages de ce roman. Et si Marcus vous tend la main comme il l'a fait pour moi, alors foncez, sans hésiter.

« c'est ce qui est fascinant, leur croyance c'est que si tout le monde marche, parle et fait des choses dans le même sens, alors il existe un réel danger que le monde entier bascule, donc il faut qu'une personne aille dans le sens opposé pour maintenir l'équilibre du monde »
Lien : https://lettresdirlandeetdai..
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Un homme assis à la table de sa cuisine a l'heure du déjeuner s'égare dans ses pensées et retrace les moments clés de sa vie, entrecoupés de réflexions politiques, sociales et philosophiques sur le monde, l'art, la famille, la corruption, etc.

De ce roman contemplatif et lancinant naît soudain une urgence indescriptible, une prémonition latente qui nous donne à penser qu'il va arriver quelque chose dans la vie de cette homme, cette vie qu'il nous livre dans le désordre, selon le fil de sa propre pensée. Ce doute sourd nous poursuit tandis qu'il continue ses histoires de dalles de béton et de sandwich club impeccablement réalisé, cette peur continue à nous étreindre parce que, sans nous en rendre compte, nous nous sommes incroyablement attachés à cet homme pendant les 200 pages précédentes où sa pensée a librement déferlé devant nos yeux ébahis par tant de prouesses et de témérité littéraire.

C'est un des romans qu'il m'a été le plus difficile de poser puis de rependre, l'absence de phrases, de paragraphes délimités et de sections nous laissant toujours indécis – on ne sait jamais où on en est, comme le narrateur lui-même ne sait jamais où il en est de son récit, alors on relit plusieurs fois les mêmes mots jusqu'à reprendre le fil, ou accepter de le perdre définitivement. Mike McCormack réussit ici à nous introduire dans la tête de son personnage, en reproduisant par son style littéraire la confusion profonde de cet homme qui conte sa vie, assis à la table de sa cuisine. Une prouesse rare, qui explique bien l'engouement autour de ce livre unique, un mélange ambitieux entre poésie et prose romanesque, un livre apparement sans intrigue au premier abord mais qui réussit néanmoins à captiver irrémédiablement son lecteur sur quelques 350 pages.
Lien : https://theunamedbookshelf.c..
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