Dr Brewster le soignait pour ce qu'il appelait "dépression", mais Jamie savait que les pilules ne suffisaient pas. La vie exigeait de lui qu'il se montrât responsable, qu'il devînt enfin adulte. Or, comment l'enfant qui n'avait jamais eu le droit d'être un enfant pouvait-il un jour devenir un homme ? Il lui faudrait franchir un gouffre d'émotions et gravir des hauteurs vertigineuses.
Un avenir incertain attendait Jamie, tapi dans une sombre forêt sans échappatoire.
En voyant le salon de Jamie, il se disait que si son ami devait se trouver une femme, mieux valait qu’elle soit férue de ménage. Il ignorait cependant que Jamie avait une très bonne raison pour entretenir ce désordre. C’était un acte de rébellion tacite contre les corvées rituelles de son enfance. Jamie ne parlait à personne de cette période de sa vie. Pas même à son ami le plus proche.
"Tout le monde a la conscience nécessaire pour haïr ; peu ont la religion nécessaire pour aimer." Henry Ward Beecher
"Quelle aubaine pour eux ! Le couple moralisateur et autoritaire avait engendré une fille malléable à loisir." On parle de Lydia
"La meilleure sorte de bonheur ; celle qu'on trouve enfin après des années de recherche, qu'on goûte enfin après des années de lutte."
"Je prends uniquement du Valium pour tuer la solitude et les souvenirs, parce que Mick n'est plus là."
En ces moments d’impuissance et de désespoir, elle comprit qu’elle avait atteint un point crucial de son existence. Un point radouci par l’assurance qu’elle n’aurait plus jamais à revivre une telle douleur.
Dans le bus bringuebalant conduit par ce chauffeur fou, extirpés du monde rude et incertain de l’orphelinat avec ses pièces pleines de courants d’air et ses voix excédées, un ailleurs était possible.
Beaucoup de femmes donneraient leurs molaires pour t’avoir comme mari. Et je n’dis pas ça pour te faire plaisir.
Chaque enfant payait pour « l'amour » qui l'avait engendré; un amour « souillé », aux yeux « saints » de ces gardiens d'enfants, car il provenait d'êtres inférieurs — les pauvres.
Elle avait quarante ans et n’avait jamais eu de rapport sexuel, n’avait jamais bu d’alcool, n’avait jamais pris l’avion et n’était jamais montée dans une voiture rapide. Elle se demandait souvent à quel point son éducation avait influencé ses goûts. Elle n’avait aucun désir de nager dans la mer, de prendre le soleil sur une plage ou au bord d’une piscine ; elle n’aimait pas les robes sans manches ni les jupes au-dessus du genou. Elle nourrissait une aversion pour les chiens et avait toujours une cicatrice sur la cheville gauche à l’endroit où le terrier hirsute du voisin l’avait mordue après avoir bondi dans le jardin, alors qu’elle commençait à peine à marcher.
La femme mature devant la fenêtre n’était plus l’enfant qu’elle avait aimée à la folie. En grandissant, Lydia lui avait échappé, elle avait passé l’âge des queues-de-cheval et des chaussettes montantes, des poupées et des livres de coloriage ainsi que de ces histoires du soir qui l’aidaient à s’endormir. Oh, comme sa mère regrettait cette époque ! Quand elle était la reine des fées, la seule capable d’ouvrir les portes de l’imaginaire et de créer un peu de magie dans le monde de la fillette. Quand elle avait le pouvoir d’aider sa fille à croire aux rêves.
Il était triste de ne pas pouvoir donner au fermier ce dont il avait le plus besoin : des racines, une bases, une famille. Tous ces fondamentaux lui avaient été refusés dans son enfance. Comment bâtir quelque chose de solide et se construire une vie quand on n'avait aucune composante sur laquelle s'appuyer ?