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Critique de HordeDuContrevent


Ce livre de la brésilienne Patricia Melo pourrait s'intégrer à merveille dans le film argentin sorti en 2015 « Les nouveaux sauvages » de Damian Szifron. Un film truculent composé de plusieurs courts métrages mettant en valeur des « pétages de plomb » diaboliques à souhait, présentant différents éléments de contexte pouvant faire sortir n'importe qui de ses gonds et mener à la folie. Mettant en valeur l'engrenage implacable permettant à une personne de franchir la frontière séparant le monde civilisé de la barbarie. Si vous connaissez ce film, pour ma part, ma scène préférée est celle liée à ces deux hommes s'entretuant en plein désert…Quoique celle du mariage n'est pas mal non plus…Dès les premières pages du livre, j'ai pensé immédiatement à ce film qui m'avait tant marquée, vivant tous plus ou moins à la lisière de la folie.

Ici il est question du bruit, du bruit qui rend littéralement fou. En l'occurrence le bruit de plus en plus insupportable, qui agit tel un poison, de ce nouveau voisin, Ygor, voisin du dessus dont les pas, les gémissements coïtaux, les rires, les déplacements de meubles, en pleine nuit, obnubilent notre narrateur, professeur de biologie. Ygor est l'antithèse du narrateur : physique de sportif, jolie petite copine asiatique, voiture de sport rutilante, tandis que notre narrateur dépressif, vivote aux côtés d'une femme délavée, terne, qui se tue à la tâche en tant qu'infirmière en soins palliatifs. Les somnifères lui permettent, à elle, de se tenir à l'écart des bruits menaçants. Notre narrateur est excédé au point de vouloir espérer la disparition de ce voisin. Oui, ce livre, tout comme le film susmentionné, montre l'engrenage implacable aboutissant à la conclusion funeste, le déferlement de violence causé par un détail du quotidien, répété, duquel on ne peut s'extraire, le bruit entrant en nous comme l'air dans les poumons. Fatalité. Et une fois le combat commencé pour se venger, impossible de s'arrêter tant notre homme perd le contrôle de sa vie.

La première partie du livre montre ce déferlement de haine et de violence, depuis les premiers coups de balai au plafond, donnés énergiquement par notre narrateur jusqu'à en effriter le plâtre, jusqu'à la solution radicale, à savoir l'issue meurtrière. La seconde partie met en lumière les conséquences de l'acte tragique, l'emprisonnement de notre narrateur ainsi que le départ de sa femme. Et surtout le procès où deux thèses vont être présentées au juré : notre homme est-il un monstre de plus dans la société brésilienne particulièrement violente, pour lequel la défense a bon dos d'invoquer la folie, personne n'étant coupable de rien, la faute revenant à l'organisme ; ou est-il réellement atteint d'une maladie, en l'occurrence une schizophrénie audiogène, provoquée par des sons et des bruits divers ?

« Il n'y a plus de silence dans les villes comme la nôtre. Des villes comme la nôtre sont acoustiquement hystériques et nocives. Il y a de la musique dans les ascenseurs et les supermarchés. Dans les magasins et les parcs. Quand le bruit envahit notre maison, notre paix, il agit comme un voleur qui nous vole et nous viole, sans pitié. On nous prend nos biens les plus précieux : notre paix et notre raison. Nous réalisons à quel point le bruit est maléfique seulement quand une tragédie comme celle qui est arrivée à mon client fait surface ».

Le titre du livre fait référence à la Bible, Gog et Magog sont en effet un personnage et un lieu du livre d'Ezéchiel. Les peuplades païennes Magog vivent « au nord du Monde », et représentent métaphoriquement les forces du Mal. le couple « Gog et Magog » aurait dès son premier usage biblique un sens de fléau mythique et infernal. Dans un pays à dominante évangéliste, l'auteure fait ainsi référence à cette figure pour présenter la barbarie, le Mal, avec un grand M. L'antéchrist. Toute la question étant de savoir où se niche le Mal…dans notre homme ? en Ygor, le diable, c'est bien connu, se cachant dans les détails ?

Ce livre est également une dénonciation passionnante et acerbe de la violence au Brésil, de sa justice, et du système éducatif, carcéral, politique, éducatif, religieux brésilien. L'air de rien Patricia Melo pique là où ça fait mal et dresse un portrait au vitriol de l'état de son pays. C'est également une réflexion douce-amère sur le sexe en prison, le rôle de la poésie également, et de la liberté…notre homme n'est-il finalement pas plus libre en prison que lorsqu'il était dépressif dans son appartement ?
Et surtout une belle ode au silence, à ses vertus réparatrices et méditatives, notre homme arrivant peu à peu, en prison, à savourer le silence, à savoir faire silence en lui et à user de son esprit pour se balader, voyager dans l'espace et dans le temps, un passage d'ailleurs particulièrement réussi.

« Passé dix heures du soir, quand les lumières s'éteignaient et que le silence s'installait dans le pavillon – un silence humide, organique, vivant, comme le silence de la forêt – je fermais les yeux, je fouillais au fond de moi, je m'y enterrais vivant. Et je partais. Souvent je me voyais marcher jusqu'à la boulangerie, comme je le faisais tous les matins, pour acheter du pain frais. Une courte promenade, de deux pâtés de maisons, sous le ciel incolore de la ville, passant par une petite place qui vivait sous la domination d'un figuier centenaire, dont les racines avaient éclaté le pavement tout autour. J'aimais admirer ses branches se répandant sur le ciel comme un cancer agressif. D'autre fois, j'ouvrais une bière et savourais chaque gorgée (…) Pour celui qui sait rêver, la réalité est négligeable, comme un mauvais film ».

Une écriture simple sans fioriture, un livre agréable à lire sur une thématique bien amenée et bien ficelée, une dénonciation franche et claire, « Gog Magog » est une lecture plaisante et dépaysante.
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