Qu’elle est sereine, la vie, quand c’est là où l’on ne s’attend nullement à tout comprendre que l’on est confronté à l’incompréhensible. (p. 13)
...cet échelon du pouvoir (...) était dominé par les "énarques", les diplômés des usines à cadres du type de l'Ecole Nationale d'Administration, des hommes très minces portant des costumes discrets et pas trop chers, ascétiques en tous points et capables de négocier pendant des heures et des nuits entières. Ils semblaient n'avoir pratiquement pas besoin de nourriture ni de sommeil, ils étaient avares de leurs mots et de leurs gestes, ils évitaient d'entretenir l'hyperglycémie de leur âme avec le sucre de l'empathie, ils n'avaient pas besoin de public, le métabolisme de l'intérieur du pouvoir leur suffisait, ils avaient renoncé aux pompes de l'apparence.
Tu sais lire l'avenir ?
Non.
Tu ne vois rien ?
Non.
Moi non plus. Je ne vois plus rien.
Pour tout membre de la Commission désireux de faire avancer un projet, constater que personne ne s'y intéressait était un grand soulagement.
Il n'était que le pantin d'une expérience qui confirmait que les gens s'organisent quand ils ont des intérêts communs et qu'une fois réunis, ils se battent pour défendre leurs intérêts personnels jusqu'à ce qu'ils n'aient plus rien en commun.
Les Britanniques, le président l'avait dit lui-même un jour, n'acceptent ici qu'une seule règle impérative : ils sont, par principe, une exception.
Le XXème siècle aurait dû être la transformation de l'économie nationale du XIXème siècle en économie de l'humanité du XXIème siècle. Ce mouvement a été empêché de manière tellement atroce et criminelle que la nostalgie de ce processus a ressuscitée, encore plus pressante. Mais elle ne l’a fait que dans la conscience d'une petite élite politique dont les successeurs ont vite oublié deux éléments: l'énergie criminelle du nationalisme et les conséquences que l'on avait déjà tirées de cette expérience. (p.290)
Bon, une question simple : qui dispose d’un agent dans le moindre trou perdu ? Le Vatican. Pourquoi? Parce qu’il y a un prêtre dans n’importe quel bled. Et qui apprend les secrets les plus secrets dans ces coins-là ? Le curé, en particulier grâce à la confession. Ca ne couvre peut-être pas tout, mais c’est quand même beaucoup plus que les informations susceptibles d’être récoltées par les services les mieux équipés.
Voilà, et maintenant imaginez un organisme, les poumons sévèrement atteints par le tabagisme, le foie par les excès d’alcool, l’estomac par la chimie alimentaire, et votre rôle est de désintoxiquer tout cela – et d’écrire les discours dans lesquels la bouche annonce que tout va pour le mieux dans la mesure où l’on produit les plus grands efforts pour assurer un meilleur fonctionnement de l’organisme, par exemple en amputant tous les doigts pour éviter qu’on se ronge les doigts.
Il avait tout de même des souvenirs. Ils s’imposaient à lui. Dans sa mémoire, des noms brillaient, il voyait des visages, il entendait des intonations, il voyait des yeux sombres, des gestes et des mouvements, et il sentait la faim, ce hache-paille de la vie, qui dévore la graisse du corps, puis broie les muscles, puis l’âme que l’on découvre seulement, pour peu qu’on la découvre, au moment où la faim est devenue une métaphore : la faim de vivre. Il la sentait, cette faim, à présent, plus aussi forte, mais il la sentait, et il voulait établir cette liste, noter avec qui il avait partagé cette faim et…