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Citations sur Une Odyssée : Un père, un fils, une épopée (57)

J’étais surtout captivé par les temps des verbes, avec leurs incroyables métastases, les changements de temps signalés par des préfixes qui s’agrégeaient comme des cristaux, par des suffixes qui perlaient à la fin des mots, comme du miel gouttant d’une cuillère sur une soucoupe.
 
paideu-ô j’éduque
e-paideu-on j’éduquais
paideu-s-ô j’éduquerai
e-paideu-sa j’éduquai
pe-paideu-ka j’ai éduqué
e-pe-paideu-ka j’avais éduqué
 
Je trouvais merveilleux que par de minuscules ajouts de part et d’autre du radical, -paideu-, l’on puisse faire de tels bonds dans le temps : le présent, se métamorphosant à la faveur d’un simple e au début du mot, pour glisser vers le passé flou de l’imparfait, ou, tout aussi facilement, s’insinuant vers l’avenir par l’imbrication d’un sigma, s, entre le radical et la terminaison personnelle ;
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Pour un helléniste, le simple fait d’ouvrir un exemplaire de l’Iliade ou de l’Odyssée est un rappel de cette longue lignée, de l’immense travail d’abeilles qui en vingt-cinq siècles a lentement ajouté des gouttes de savoir à notre compréhension de ce que sont les poèmes et de ce qu’ils racontent.
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La grande ode aux voyages, donc, aux navigations et aux périples s’ouvre sur des personnages figés sur place. Cette étrange paralysie qui s’est abattue sur Ithaque pose aussi une série de questions qui sont, fondamentalement, d’ordre littéraire. Comment amorcer un poème ? Où débute l’histoire ? Comment tourner la page du passé pour ouvrir sur le présent ?
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Le garçon, l’adulte, l’ancêtre ; les trois âges de « l’homme ». Ce qui revient à dire que, parmi les voyages que retrace ce poème, il y a aussi le voyage d’un homme d’un bout à l’autre de la vie, de la naissance à la mort.
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Le proème est indispensable à l’épopée, car il nous donne l’assurance, au moment où nous nous embarquons sur ce qui ressemble à un vaste océan de mots, que cette étendue n’est pas un « vide informe » (tel celui sur lequel s’ouvre un autre grand récit fondateur, la Genèse), mais un parcours, un chemin qui nous mènera à un endroit qui vaut le voyage.
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Par un soir de janvier, il y a quelques années, juste avant le début du semestre de printemps au cours duquel je devais enseigner un séminaire de licence 1 sur l’Odyssée, mon père, chercheur scientifique à la retraite alors âgé de quatre-vingt-un ans, m’a demandé, pour des raisons que je pensais comprendre à l’époque, s’il pouvait assister à mon cours, et j’ai dit oui. Ainsi, pendant les seize semaines qui suivirent, il fit une fois par semaine le long trajet entre le pavillon de la banlieue de Long Island dans lequel j’ai grandi, une modeste maison à un étage où il vivait encore avec ma mère, et le campus en bordure de fleuve de la petite université où j’enseigne, qui s’appelle Bard College. Chaque vendredi matin à dix heures et demie, il prenait place parmi les étudiants de première année, des gamins de dix-sept ou dix-huit ans qui n’avaient pas le quart de son âge, et participait aux discussions sur ce vieux poème, une épopée où il est question de longs voyages et de longs mariages et de ce que peut signifier le mal du pays.

(INCIPIT)
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Tom pose la question "pourquoi votre père suit ce cours"?


Notre chambre était donc devenue son bureau. PROF. JAY MENDELSOHN, annonçait la plaque en plastique blanc sur la porte.
Je l'imaginais mal dans son rôle d'enseignant. Je voyais très bien ma mère en institutrice, à l'époque où elle enseignait en maternelle et en primaire, dans les années 1950, d'abord, peu après leur mariage, puis après vingt années d'intermède, quand elle a eu fini de nous élever, dans les années 1980 et 1990. Maman était exubérante, vive, pleine d'entrain et intelligente ; tout le monde disait qu'elle était faite pour enseigner. Avec mes frères et sœur, nous avons d'ailleurs profité de son instinct pédagogique même si, à l'époque, nous ne l'appréciions pas à sa juste valeur : quand nous rentrions de l'école, l'après-midi, nous trouvions sur la table de la cuisine une rose dans un soliflore, ou une orange soigneusement coupée en deux, ou un poivron vert, et elle nous faisait asseoir autour de la table et disait : Regardez mes enfants comme la nature est merveilleuse ! Admirez cette géométrie parfaite des pétales, des tranches, des cosses !........

Mais j'étais totalement incapable de me figurer mon père devant une classe. Je repensais à l'œil qu'il posait sur les exercices et les interros de maths que je rapportais à la maison, sur les X rouges griffonnés en marge, comme une broderie furieuse festonnant le côté du papier, et j'en étais réduit à me demander quel genre d'enseignant PROF. JAY MENDELSOHN avait pu être.
Et maintenant, en ce premier jour du séminaire sur l'Odyssée, il était assis dans ma classe la main en l'air.

"Effectivement, je suis son père" di-il!

Je suis le cours de Dan (quelques étudiants s'amusèrent à l'entendre m'appeler par mon prénom) parce que j'ai eu envie de relire les Classiques que j'avais lu au lycée. C'était pendant la Seconde Guerre mondiale, dans les années 1940.
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Mais qu'elle est la vraie nature d'un homme, demande l'Odyssée, et combien de natures un homme peut-il posséder ? Comme je l'appris cette année-là, l'année où mon père a suivi mon cours sur l'Odyssée et où nous avons refait le voyage du héros, les réponses peuvent être surprenantes.
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En grec, nostos signifie «le retour». La forme plurielle du mot, nostoi, était en fait le titre d’une épopée perdue consacrée aux retours des rois et des chefs de guerre qui combattirent à Troie. L’Odyssée est elle-même un récit de nostos (...) Peu à peu, le mot nostos, teinté de mélancolie et si profondément ancré dans les thèmes de l’Odyssée, a fini par se combiner à un autre mot du vaste vocabulaire grec de la souffrance, algos, pour nous offrir un moyen d’exprimer avec une élégante simplicité le sentiment doux-amer que nous éprouvons parfois pour une forme particulière et troublante de vague à l’âme. Littéralement, le mot signifie «la douleur qui naît du désir de retrouver son foyer», mais comme nous le savons, ce «foyer», surtout lorsqu’on vieillit, peut aussi bien se situer dans le temps que dans l’espace, être un moment autant qu’un lieu. Ce mot est «nostalgie».
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C’est drôle, dit-il, mais je trouve que cette partie du poème [la reconnaissance d’Ulysse sous les traits d’un vieil homme par Pénélope] est tout à fait réaliste. Il y a des choses qu’on partage dans un couple qui n’ont rien de physique : des blagues ou des souvenirs glanés au fil du temps, des petites choses que personne d’autre ne sait.
Il leva les yeux et vit tous ces regards de jeunes gens braqués sur lui. Soudain embarrassé, il tenta de détendre l’atmosphère : Bon, des fois aussi, ce sont des choses physiques! (...)
Les étudiants ne pipaient mot. Qu’auraient-ils bien pu dire ? Le mariage de mes parents avait duré trois fois leur vie. Leurs visages graves, les regards ébahis qu’ils posaient sur mon père à l’autre bout de la salle disaient à quel point ils étaient impressionnés. Et même, me sembla-t-il soudain, admiratifs.
Alors, dans le silence palpable qui régnait autour de la table je compris que les métamorphoses magiques qui ont lieu dans l’Odyssée ne sont rien d’autre que cela. Elles n’ont rien de magique. Quelque chose se passe, quelqu’un s’exprime avec passion ou autorité – avec des «mots ailés», épê pteroenta, selon l’expression d’Homère -, et l’on voit soudain les choses autrement : la personne en face a effectivement l’air d’avoir changé.
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