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Critique de afriqueah


C'est une histoire de cercles : ceux du père, mathématicien, ceux des deux voyages père/fils , en boucle dans un avion, et sur les traces d'Ulysse, ceux du voyage de retour de ce dernier qui n'arrive pas à retrouver sa terre d'Ithaque, contrarié par Poséidon, ceux de la mémoire ( raconter une histoire, c'est puiser dans le passé pour expliquer par des digressions ce que l'on veut expliquer) et c'est aussi la forme circulaire que prend souvent le langage parlé. Coup double, Mendelsohn nous indique aussi que dans la littérature grecque, on trouve souvent une composition circulaire. Puis il nous confie un des secrets de son écriture, cette même composition circulaire. Car dans « Une Odyssée, un père, un fils, une épopée, » l'auteur tisse (comme Pénélope, tiens) les liens entre un père et un fils, et les fils tendus entre cette histoire et le récit d'Homère, ainsi que les liens entre le présent et le passé, entre les morts et les vivants. Cela en régressant par boucle, en tournant les histoires et les truffant de digressions, de digressions dans les digressions, pour revenir à l'origine du récit, la boucle étant bouclée.
C'est une histoire entre un père qui méprise le peu d'intérêt que son fils a pour les mathématiques, et le mépris du fils sachant que son père qui se targue de tout apprendre a arrêté d'étudier le latin. Ce mépris mutuel devient un peu plus nuancé lorsque le père décide d'étudier dans le séminaire animé par son fils. le père devenu étudiant déclare qu'il ne parlera pas au départ, et il se dévoile au contraire comme un élève dissipé, coupant la parole du professeur, détestant Ulysse, le menteur qui a plus d'un tour dans son sac, affirmant encore et encore que Ulysse n'est pas un héros, excédant un peu son fils…. Mais séduisant les autres étudiants. Nous sommes nous aussi étudiants (mais pas dissipés, hélas) devant le texte d'Homère, et ce qui pourrait être seulement un livre savant de philologie du grec ancien nous tient en haleine par les tours et contours de l'histoire familiale. Car Mendelsohn nous explique les différents chapitres de l'Odyssée ainsi que certaines notions grecques, comme l'arkhé kakon, le début du désastre, celui de la guerre de Troie, ou le nostos, le retour à Ithaque, et toute l'histoire de ces 10 ans passés en errance.

Ce presque affrontement, cette rivalité obscure pendant le séminaire se dissipe lorsque la vie du père s'éclaire, que cet homme si prévisible et si droit dans ses bottes avec ses sentences aboyées et ironiquement citées par le fils : son mépris de la maladie, » comme si le fait d'être souffrant était une défaillance éthique plutôt que physique », sa haine de la vantardise, de l'adultère, du mensonge et de la tricherie ( y compris la tricherie qui consiste à croire à l'aide des dieux, pourtant la moelle des récits grecs, où les dieux s'affrontent entre eux, protègent certains humains, et en sacrifient d'autres) sa volonté d'arriver dans la vie sans l'aide de personne, de penser par soi même, sa certitude que la vie doit être dure pour avoir du mérite, en un mot sa rigidité, son désir absolu d'exactitude, tous ces traits de caractère prennent une autre dimension lorsque le fils apprend que son père a étudié une grande partie de sa vie l'indéterminisme ,l'incertitude ( je pense : algorythmes). Pour Dan , le locuteur, qui a hérité d'enfants sans en être le père et sans vivre avec leur mère, lorsqu'il déclare à ses parents son homosexualité, le père dit « je connais ça » . Enfin, scène clé de la reconnaissance du père par le fils, c'est lorsque le père prend la main du fils, mort de peur mais ne voulant pas le montrer et le guide à travers la grotte de Calypso, renversant les rôles avec toute la protection et l'amour paternel. Enfin aveu fait aux étudiants de son fils, « sa mère, elle était belle » fugace déclaration d'amour destinée à une absente, devant des gamins ravis mais incapables de comprendre. Jay le père apparaît alors transfiguré à son fils Dan.
Parallèle charmant entre le lit construit par le père pour son fils, les deux seuls à en connaître le secret de fabrication, et le lit de Pénélope et Ulysse, les deux seuls à en connaître la fabrication. Les secrets qui lient un couple, dit Mendelsohn, sont construits sur ces secrets connus d'eux seuls. Et c ‘est sur le partage des plus petites choses que se fonde l'intimité la plus profonde. Même les enfants ne connaissent pas la vraie nature de leurs parents. Parallèle aussi entre le chien, le vieux chien qui est le premier à reconnaître Ulysse à son retour à Ithaque, juste avant de mourir, et le chien qui a mordu le père. Les hommes dévorent les animaux, et punis de mort pour cela et peuvent aussi être transformés en porcs, mais il y a des animaux plus perspicaces que les êtres humains.
Roman foisonnant, et aussi livre d'études, réflexion sur l'incompréhension et, parfois, la tendresse qui se faufile, découverte mutuelle subtilement racontée entre deux êtres qui n'avaient pas beaucoup communiqué jusqu'à présent, écriture somptueuse, d'autant plus périlleuse qu'elle incorpore le cours d'un séminaire universitaire sur l'Odyssée, et que jamais nous ne nous lassons de cet érudition. Il n'est jamais trop tard pour apprendre, et nous apprenons avec délectation.
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