Depuis là-haut, depuis le lacet sur la route qui descend au port et rejoint la régionale en direction de Cordoue, on voit bien ma maison, le mur latéral couvert de vigne vierge et les grappes d’orpin blanc qui poussent sur le toit. Dans le coin où ma mère avait planté de la sauge, du persil et de la menthe, s’entremêlent désormais les pavots et les choux montés en graine. Je l’aime comme ça, un peu abandonnée, comme un coquillage parmi les pierres, un îlot planté au milieu d’une terre en friche. Il y a environ quatre ans, peu après la mort de ma mère, les Jaldones ont cessé de cultiver les parcelles autour de la maison qui autrefois nous appartenaient, et là où poussait le blé prospèrent désormais la bruyère, la ciste à gomme et les chardons jusqu’en lisière du chemin qui, au-delà des chênes de garrigues, forme une fourche menant à la rivière et à la maison des Las Brenas.
Ma mère savait à peine écrire [...]. Elle lisait à peine mais, quand elle racontait les histoires du village, on aurait dit qu'elle lisait des mots venus d'un autre monde, comme si une voix très ancienne, composée d'autres voix, de vent et de poussière, se pressait pour sortir de sa bouche. (34)
Ici, on n'affectionne pas les étrangers, sauf si tu fais le premier pas, et moi, c'est un effort qui ne m'a jamais tenté. (11)
Je n'ai peur que du vent, qui déboussole tout.
Les maisons ont une mémoire. Il arrive que les morts rient. (254)
Où vont les gens qui disparaissent de nos vies ? (73)
La vie devrait aspirer à la simplicité et pourtant elle s'embrouille dans les malentendus, les non-dits, les quiproquos dissipés trop tard.
Deux semaines ont passé et on continue à tourner en rond avec l'insistance des taons, car lorsqu'un suicide se produit dans le village, dans l'un des replis de ces montagnes, les gens craignent qu'un autre ne succède dans les jours suivants, très vite, comme la peste jetant le lasso invisible de la contagion. (51)
J'ai appris dès l'enfance à cohabiter avec les morts et, selon la coutume transmise par ma mère, à la Toussaint, je leur allume des mèches d'huile flottantes pour que chacun puisse danser à travers sa flamme. (95)
Au bar de la Galicienne, on trouvait les cuillères à café à la taraudeuse pour que les junkies ne puissent pas chauffer l'héro, et il fallait demander une clé pour entrer aux toilettes, une clé attachée à une corde sale et effilochée. Il n'y avait pas de lumière et il fallait pisser dans le noir. (31-32)