On m’appelle Jam au lieu de Jamy et j’en suis plutôt satisfait.
Jam Rockwell. C’est un nom que j’apprécie de lire sur les couvertures qui parsèment les étagères des librairies. Le « y » aurait été de trop, personnellement il me dérange un peu.
J’avais poussé le vice jusqu’à proposer à mon éditeur de raccourcir le tout en indiquant que « Jam R. » en compagnie du titre, occultant de fait une part de ma généalogie - qui n’avait rien de vertueuse de toute façon. Il avait refusé.
« Rockwell, Rockwell... » avait-il répété, contemplatif, un brin songeur, les yeux levés au plafond blanc de son bureau londonien. « Rockwell, ça fait américain. » À croire qu’un nom à consonance yankee suffisait à vendre des livres et leur garantissait le succès.
Je ne me suis pas formalisé de ce choix car je n’aurais jamais dû me trouver dans le bureau d’un éditeur londonien. Ce n’était qu’un rêve de gosse, davantage qu’un cliché : une erreur de parcours. On ne décide pas de son avenir dans la famille Rockwell. On devient médecin ou avocat, au pire professeur à l’université. Mais pas écrivain. Écrivain, ce n’est pas un métier. La famille Rockwell ne tolère qu’un chemin : rester ‘personne’ ou devenir ‘quelqu’un’.
"Dans les rues je cherche encore ta main. Avant, je n'osais la prendre de peur de t'étouffer. Maintenant, j'étouffe de ne plus jamais la trouver."
On écrit d’abord pour soi, il ne faut pas se le cacher. À l’intérieur de notre poitrine bouillonne un message que l’on brûle de transmettre. Ecrire autorise à prendre son temps afin que le message soit correctement envoyé. Et puis il y a autre chose, ce quelque chose d’indicible qui ne demande qu’à s’exprimer. On ne sait pas le faire taire, c’est impossible, ça doit sortir par tous les moyens. Il y a ce cœur trop petit pour ce qu’il contient qui finit par exploser, par donner, donner sans s’arrêter ni attendre un retour. Il veut juste donner en écrivant, c’est tout, c’est simple.
Mais la vie est un conte, Jam. Chacun de nous en est l’auteur. Les choix que nous faisons, bons ou mauvais, écrivent les chapitres de notre existence.
Les mots ont un sens. Accole-les, fais-en des phrases, et tu posséderas une arme redoutable.
Il faut que tu saches, fils, qu’écrivain n’est pas un métier. Combien réussissent très bien dans ce milieu par rapport au nombre de déçus ? Il n’y a qu’un Stephen King, qu’une Joanne K. Rowling, qu’un Tolkien. Ce n’est pas donné à tout le monde.
Qu’est-ce que je disais. L’art et la manière de piétiner mes rêves comme une botte en fer écraserait une touffe d’herbe.
Le temps est un drôle de personnage, tantôt allié, tantôt ennemi, et personne ne connaît la profondeur de ses poches.
L’espoir est plus qu’un sentiment, mieux qu’une force, plus fort qu’une certitude.
L’espoir c’est la personne qui s’éveille dans nos abysses et fait corps avec notre inconscient. Comme une volonté mystique, la transcendance d’une part de nous que l’on ignorait posséder.
Plus tard, bien plus tard, je me suis dit que quand on aimait on retrouvait toujours les gens. Autre particularité charmante de la vie, son attrait pour transformer les doutes en certitudes.
Écrire est également un parcours où les tempêtes sèment des grêlons. On regarde cette nouvelle page blanche qui s’annonce comme on regarde un ciel d’orage sans savoir ce que celui-ci va nous apporter. Il y a les doutes, il y a l’espoir qui s’amenuise. On ferme le cahier en se disant qu’on fera peut-être mieux la prochaine fois, seulement si l’on s’y remet…