Citations sur Cora dans la spirale (88)
Je me répète : je n'étais pas faite pour ça. J'aurais dû naître à un endroit où les gens ne se battent pas pour des ressources rares, où on n'a jamais vu personne pour qui faire mal aux autres soit une source de plaisir, où le pouvoir soit quelque chose que les gens exercent à tour de rôle parce que c'est nécessaire, mais pas qu'il faut à tout prix conquérir parce que tous ceux qui n'en ont pas se font marcher sur la gueule. Il n'y a pas d'endroit comme ça, Mathias - mais c'est là que j'aurais dû vivre.
Elle découvre ce que c'est qu'une tour, ce que c'est que de passer ses journées au 27e étage, à cent dix mètres du sol. Elle s'est rendu compte dès les premières heures, avec une montée d'angoisse, qu'il n'y avait nulle part, ni dans les bureaux ni dans les couloirs, de fenêtre qu'on puisse ouvrir, et cette question des fenêtres revient sans cesse dans ses pensées. Elle cherche les raisons.
Pierre sort de la maison et enfourche son vélo pour rendre visite à Cora dans sa clinique de Saint-Mandé. Pierre aime rouler depuis toujours, le vélo lui a servi dans son enfance lorraine à élargir sa vie au-delà des paysages qui clôturaient le quotidien, à se barrer voir ailleurs, pas si loin mais plus loin, et c'est un besoin qui le gagne de façon irrépressible ces temps-ci, un besoin d'épuisement physique, de muscles qui chauffent, d'esprit buté sur le sommet de la côte ou le prochain virage.
"On l'a vu dans la lutte pour la sécurité routière ou contre le tabagisme : c'est quand on touche au portefeuille que les gens évoluent. On peut rêver d'un monde qui fonctionne autrement, mais c'est un monde lointain. La vérité, c'est que nous n'aimons pas nous restreindre tant que nous n'avons pas de vision précise de ce que nos comportements mettent en péril, de ce que nos conduites à risque peuvent nous coûter, et tant qu'il n'en va pas de notre intérêt particulier."
Depuis son retour de Shanghai, Delphine roule en scooter pour avoir l'impression quand elle file sur le pont de Neuilly et que les tours de la Défense referment leurs mains d'acier sur elle, que son cœur est à leur taille, qu'elle ne fait pas partie de ce troupeau souterrain qui se traîne chaque jour du dodo allongé au métro debout et au boulot assis avant de finir à l'abattoir.
Delphine a un attrape-rêves ojibwa qu'elle a rapporté de Toronto, fait d'un cerceau en bois traversé de fils tendus comme une toile d'araignée, qui capte les images que les esprits envoient, conserve celles qui sont belles, brûle les mauvaises visions.
Si vous voulez que j'adopte votre langage, finit par lui lancer Édouard sans se rendre compte que l'agacement l'emporte dans sa voix sur ses habitudes d'indulgence, je pourrais dire qu'il y a deux manières de transformer. Il y en a une qui a la clarté de ce qui s'impose d'en haut, qui part de la vision, vous savez, qu'ont depuis leurs collines les chefs d'état-major, mais elle est dogmatique, et violente, et elle envoie beaucoup de monde au casse-pipe, et elle ne fonctionne qu'à court terme. Et il y en a une autre qui fait le pari de l'intelligence collective, qui pour fixer une stratégie fait participer celles et ceux qui, ensuite, vont se retrouver en première ligne, qui est plus lente, c'est sûr, mais qui est plus moderne aussi, beaucoup mieux acceptée, et plus efficace à moyen terme.
Faire la même chose plus vite, avec moins de moyens mais en mieux : c'est le refrain que beaucoup de gens entendaient, dans beaucoup de mondes professionnels, et qui finissait par détruire ou en tout cas par abîmer leur attachement à leur travail.
Vous ne pouvez pas dire «il y a pire»; on fait accepter le pire partout à force de répéter qu’il y a pire ailleurs
La ville, résumait Édouard, la grande ville en tout cas, c'est cet endroit où pour survivre il faut d'abord ne pas se faire trop d'idées noires sur ce qui arrive aux autres.