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Citations sur Cora dans la spirale (88)

Ces trente carnets, et les photos de cette période, et les autres témoignages que j’ai pu recueillir, c’est une archive vivante qui m’est tombée dans les mains par hasard, alors que je ne demandais rien à personne. Ou bien il n’y a pas de hasard, et je cherchais quelque chose de ce genre, sans pouvoir le nommer ni dire pourquoi ça m’était nécessaire. Dans mon entourage, parmi mes amis, ou au journal, les rares auxquels j’ai parlé du projet ont affiché des airs perplexes. Mes oreilles sifflent ces temps-ci : il doit y avoir des gens très bien qui s’inquiètent pour moi en prenant l’apéro. « Tu as vu Mathias, récemment ? Tu ne crois pas que c’est de la folie, son truc ? Qu’est-ce qu’il va perdre son temps là-dessus ? Il lui reste trois, quatre ans tranquille avant de faire des gosses, il a dans le ventre des reportages magnifiques, et au lieu de s’y mettre, il se lance dans cette histoire qui risque de l’engloutir, alors qu’il y a de fortes chances quand même que ça n’intéresse que lui… » Ceux qui disent ça – s’il y en a qui disent ça -, ils ont raison, naturellement. C’est vrai que c’est une toute petite histoire parmi toutes les histoires du monde. Mais seulement jusqu’à temps qu’on se dise qu’il n’y a pas de petite histoire. Et il est sûr aussi que les faits ont eu lieu il y a longtemps maintenant, et que le plus sage serait sans doute de considérer qu’il y a prescription. Ce n’est pas le cas à mes yeux. Les affaires judiciaires sont prescrites ; la mémoire des vies ne devrait jamais l’être. Car aux changements de noms près, c’est de nous qu’il s’agit. Le combat qui a cessé quelque part reprend ailleurs, et c’est le même combat. J’ai envie, j’ai besoin, je n’ai pas d’autre choix aujourd’hui que d’en porter témoignage.
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La sensualité des assurances était plus subtile – leur charme plus discret. Tout le défi, en fait, était que les gens ne voulaient surtout pas en entendre parler. Ils se débarrassaient de la question d’un chèque signé au mieux le jour de la date limite, ils ne tenaient pas à se projeter dans des images de voitures qui font des tonneaux, de toits arrachés par le vent, dans des scénarios de mort précoce ou d’incendies qui ne laissent pas le temps de sauver ne seraient-ce que des lettres ou un album photo.
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Dans ses carnets, elle note : « Quand nous n’allons plus au travail en croyant que l’énergie que nous y consacrons améliore à petite échelle le monde autour de nous ; quand nous avons aussi perdu l’espoir d’y retrouver au moins des gens que nous aimons, se lever chaque matin, tenus seulement par le devoir ou le chantage à la survie, s’apparente à une mort dans l’âme ».
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La vie c'est le nom de tout ce qui creuse l'écart entre ce qu'on est en train de devenir et ce qu'on aurait voulu être. Et pour mettre les choses au point : il est clair que c'est une salope.
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« On renonce d’abord à changer le monde, le monde en général : on prend conscience qu’on n’aura sur ce qui nous entoure aucun impact digne de ce nom, que le monde sans nous et le monde avec nous aura été le même, à un détail près qui ne compte pas. On comprend qu’on n’a aucune assurance non plus que le monde se porte mieux à l’heure de notre mort, que changer la vie c’est mégalomaniaque, que ceux qui nous répètent que nous pouvons faire une différence nous refilent encore de l’opium pour nous tranquilliser. On réalise qu’on ne peut pas non plus influer sur la vie de ceux qu’on aime, et que quand le malheur s’abat sur eux, être là à leurs côtés ce sera seulement être spectateur. Le plus tentant, c’est de chanter chacun pour soi et sauve qui peut : à défaut d’améliorer le monde, se battre pour y obtenir une place privilégiée, ou se contenter d’y occuper une position modeste. Mais ce rêve-là, ces efforts-là, c’est sans compter que notre vie nous échappe, qu’on n’y décide de presque rien, que les choses qu’on désire sont hors d’atteinte, que celles qu’on a voulu fuir nous attendent au tournant, qu’on est poussées sans cesse dans des impasses et dans des pièges par cette force absolument indifférente qu’on finit par appeler la vie. J’entends ça, dans les conversations : la vie en a décidé autrement ; la vie ne l’a pas voulu. La vie c’est le nom de tout ce qui creuse l’écart entre ce qu’on est en train de devenir et ce qu’on aurait voulu être. Et pour mettre les choses au point : il est clair que c’est une salope. »
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Quelques mois auparavant en lisant les hommages parus à la mort de Steve Jobs, elle s'était mise à lui vouer une rancune personnelle: Comment cet homme avait-il pu à ce point s'intéresser aux philosophies zen et imposer à la planète entière ces écrans rétroéclairés qui bousillaient les yeux et ce quotidien frénétique où on passait d'un site à l'autre, d'une vidéo à l'autre, d'un flirt à l'autre sans se concentrer sur rien? Au nom de quelle vision pervertie de l'intérêt général et du progrès social avait-il décidé de tout faire pour que ceux qui refusaient d'adopter ses dernières inventions ou qui avaient l'audace de s'indigner de leur obsolescence programmée deviennent des gens ringards, bons à remiser au placard ou à jeter à la poubelle?
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Si on regarde où ça m'a menée, dans quel enfer...
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Elle est un peu désuète, quand on l'évoque, cette France. Elle est vieille France.
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Souvent, Cora se demandait pourquoi elle persistait à absorber chaque jour une dose de cette rumeur du monde.
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Depuis quelques années, les enfants de l’après-guerre faisaient valoir leurs droits à la retraite. Longtemps, on s’était plu à répéter que ce départ massif ferait enfin baisser le chômage. Cora avait entendu ça toute son adolescence. Sur le papier, c’était logique et ça donnait de l’espoir. Dans la réalité ça ne s’était pas passé comme ça. Les industries semblaient s’être envolées sans retour vers des pays où les gens étaient prêts à se laisser réduire en quasi-esclavage pour ne pas mourir de faim comme l’avaient fait leurs parents par millions. Que s’était-il passé ? À quel moment est-ce qu’on s’était plantés ? Les Européens avaient-ils vécu au-dessus de leurs moyens, maintenus par des hommes politiques préférant creuser le déficit plutôt que risquer la défaite dans une indolence qui les empêchait de s’adapter au monde qui naissait autour d’eux ? Ou bien est-ce que c’étaient les multinationales et les élites qui accaparaient la richesse en planquant leur argent et en représentant l’impôt comme une menace à la croissance ? Dans les journaux que lisait Cora, les experts n’arrivaient jamais à se mettre d’accord là-dessus. Ce qui était certain, c’est que les changements du monde lançaient aux entreprises de véritables défis, de sorte qu’elles n’avaient d’autre choix, à leur tout, pour se montrer à la hauteur, que de mettre au défi leurs employés, lesquels mettaient au défi leurs enfants pour qu’ils puissent bientôt affirmer d’une voix nette, au timbre stabilisé, que cela tombait bien car ils se trouvaient eux aussi adorer les défis, et étaient impatients que leurs journées en soient pleines à ras bord.
Souvent, Cora se demandait pourquoi elle persistait à absorber chaque jour une dose de cette rumeur du monde. C’était sons sens du devoir – le plaisir de voir plus large – une volonté de se distraire – une forme de masochisme. Ces discours se présentaient comme autant de gélules d’apparence identique ; certaines allaient libérer, en fondant, les molécules d’une lucidité nécessaire, d’autres les toxines d’idéologies enrobées dans le sucre du bon sens, mais c’était dans des proportions qu’il était impossible de préciser, et on ne savait jamais s’il s’agissait d’effets secondaires inévitables ou d’un projet d’intoxication collective.
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