Fin des années 1930, Nouvelle Angleterre. Un été indien se profile dans une petite ville de la région. En quelques phrases, le décor est planté comme sur une carte postale : arbres aux couleurs de l'automne, jolies maisons en bois blanc bien proprettes, calme des rues chauffées par un doux soleil et ciel bleu limpide.
Oui mais voilà, l'incipit donne aussi un deuxième son de cloche : « L'été indien est semblable à une femme mûre, animée de passions ardentes. Mais c'est une femme volage, qui va, vient à sa guise, si bien qu'on ne sait jamais si elle s'apprête à surgir, ni combien de temps elle restera. […] Une année, dans les premiers jours d'octobre, l'été indien apparut ainsi dans une petite ville appelée
Peyton Place. Comme une femme jolie et rieuse, il s'étendit sur la campagne et rendit toutes choses si belles que les yeux en étaient éblouis.» Tiens donc, l'autrice compare la météo à une femme libre !
Ensuite, à la page 3, les clochers des deux Églises sont comparés aux « volcans de l'enfer ».
Le ton est donné, ça va déboiter.
Promesse tenue tout au long du roman où nous suivrons principalement Allison Mackenzie et sa mère Constance en répondant à la question : de quelle(s) façon(s) un secret de famille peut-il gâcher l'existence ?
Ensuite il sera question de racisme, de querelles d'Églises, d'inceste, d'avortement, de suicide, d'alcoolisme, de meurtre, d'inégalités entre les classes sociales, de jalousies… et de mesquins et égoïstes petits secrets.
Je dois avouer que j'ai lu ce livre comme j'aurais bu du petit lait. Taxé de scandaleux quand il est sorti,
Peyton Place a même été interdit à la vente dans certains États, censuré dans les bibliothèques municipales et a parfois du circuler sous le manteau. Car il égratigne franchement et sans remord les moralistes conservateurs en tout genre.
Je rie encore de Kenny l'alcoolique qui débarque dans une Église de la Pentecôte et de l'Évangile complètement saoul et que les fidèles prennent pour « le messie qui va nous conduire au Jourdain » parce qu'il ne peut tellement plus articuler correctement que le Pasteur pense qu'il parle « la langue de révélation parlée seulement par les plus saints ».
Plus encore que ces piques humoristiques répétées sur la religion, ce qui a le plus déplu aux bien-pensants de l'époque est le féminisme dont chaque page est imprégné. L'éveil de conscience du médecin de la ville au sujet de l'avortement qu'il a été obligé de pratiquer pour sauver sa patiente, non pas de la mort mais du rejet social, est incroyablement bien narré. C'est exactement le genre de littérature qui fait bouger les lignes, qui amorce un début de réflexion et prépare les esprits à un changement social. D'ailleurs aujourd'hui il pourrait encore faire office de piqure de rappel à certains…
Le roman a également été accusé de verser dans le lubrique. Bon… à moins de n'avoir jamais eu le moindre roman érotique dans les mains vous ne risquez pas d'être choqué ! Mais comme les femmes ont des désirs sexuels assumés dans ce livre, les chantres du conservatisme y ont vu la dépravation la plus totale.
Il me faudrait plusieurs pages pour énumérer toutes les problématiques que
Grace Metalious traite dans son livre tellement le panel est important.
Sa plume trempée dans l'acide et le sérum de vérité secoue bien le petit monde mesquin et hypocrite dans lequel vivent les personnages, l'écriture est vive, on ne s'ennuie pas une seconde. J'ai adoré ma lecture et j'en reprends une part en commençant «
Retour à Peyton Place » pas plus tard qu'aujourd'hui !