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Critique de 5Arabella


Sir, une ville imaginaire, qui ressemble un peu, ou de façon fantasmée à une ville de la Mésopotamie antique. Ordjéneb, un montagnard qui a dû quitter son village suite à une dette non réglée, vient y chercher refuge. Il est engagé comme garde du corps par Asral, un maître scribe qui vient de se voir confier une tâche très honorifique, mais très écrasante, celle de copier les lois établies par un mythique législateur, Anouher. Ces lois guident la vie de la cité, elles sont sacrées comme la figure d'Anouher. Mais à lire ces vieux textes, Asral est pris de plus en plus de doutes et de questionnements : les textes se contredisent par moments, d'autres passages semblent obscures, et à la fréquentation d'Ordjéneb il prend conscience que certains mots ont changé de sens avec le temps, et que peut-être on comprend mal le sens de ces passages sacrés. Son travail s'en trouve ralenti, ce qui provoque des inquiétude dans la ville : ce serait un mauvais présage si la copie n'était pas finie à la date prévue pour les festivités. D'autant plus qu'agitations et antagonismes s'expriment de plus en plus fortement dans la ville et que la cité voisine et rivale, Hénab, compte bien tirer profit des troubles éventuels.

Diane Meur a conçu un étrange objet : le livre est très romanesque, avec beaucoup d'événements, des sentiments, des tableaux pittoresques de lieux, comme cette ville antique somptueuse. Mais il y a toujours comme un pas de côté, un second degré. Déjà dans le fait que la ville est imaginaire, et que l'auteur ne prétend pas nous fournir une restitution d'une civilisation du passé, mais créer un lieu à sa guise, même s'il évoque des choses, des salles de musée, des lieux réels. Un humour, un décalage est toujours présent lorsqu'elle évoque ce qui arrive à ses personnages, même si l'émotion, aussi l'envie de savoir ce qui va leur arriver ne quitte pas le lecteur. Nous voyons même des savants européens faire des fouilles sur les lieux, et se tromper allégrement, donner du sens à ce qu'ils voient avec le prisme de leurs représentations, de leurs mentalités, de leurs évidences, qui sont bien sûr très loin de la réalité des habitants de Sir. Nous avons deux mises à distance, celle d'Asral qui essaie de reconstituer la parole et les événements de l'époque d'Anouher, pour revivifier et donner un autre sens à la société dans laquelle il vit, et celle du regard des savants étrangers des millénaires plus tard sur la cité d'Asral.

Surtout au-delà des destins et aventures individuels, Diane Meur s'intéresse au pouvoir, à la façon dont certains s'en emparent, créent des règles, imposent leur volonté, comment les intérêts de la communauté, des groupes qui la composent arrivent à s'exprimer, à établir des compromis ou pas. Et dans ce jeu de forces, la mémoire, l'histoire, la parole écrite qui peut devenir un dogme, est un élément essentiel, enjeu de pouvoir, qui légitime ou renverse ce qui existe.

Un très beau livre, passionnant à lire, avec des sujets de réflexion très actuels, très joliment écrit.
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