AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de domi_troizarsouilles


Quel plaisir de retrouver la plume de Deon Meyer, ainsi que certains de ses personnages qu'on avait rencontrés dans son opus le plus ancien, qui ne fait pourtant pas partie de la série « Benny Griessel », et que j'ai lu il y a quelque temps : « Jusqu'au dernier ». On voit de loin en loin l'ancien personnage principal de ce livre précédent, Matt Joubert, qui a clairement évolué et qui a l'air de quelqu'un de bien, mais on ne s'y attarde plus en détails.

Le focus est désormais tourné vers trois personnages, qui ont chacun un rôle tellement important qu'on peut dire qu'il y a vraiment trois personnages principaux !
Il y a bien sûr ce fameux Benny, inspecteur de la police du Cap, la quarantaine, de la même promotion que Matt Joubert précité, et considéré autrefois comme l'un des meilleurs policiers de sa génération. Cependant, tandis que Matt avançait pas à pas dans la hiérarchie, malgré ses soucis, Benny a noyé les siens dans l'alcool. On le savait car Deon Meyer en parlait déjà dans « Jusqu'au dernier », tout en insistant sur l'amitié entre les deux hommes. Mais ici, dès début de ce livre, on voit Benny arrivé à un point de non-retour : pour la première fois en toutes ces années d'alcoolisme, il a porté la main sur sa femme, qu'il adore pourtant. Elle le met donc à la porte, en lui imposant 6 mois de sobriété avant de pouvoir revenir, sans même promettre qu'elle lui garderait une quelconque place dans son coeur…

À côté de ça, dès le début on est en contact avec le tueur du livre, celui que toute la police recherche sur plusieurs fausses pistes, et on a ce petit frisson du lecteur « qui sait », mais qui ne peut rien dire pour aider cette police complètement perdue. On suit ce tueur au fil de son évolution, on connaît son passé, on sait pourquoi il s'est mis à tuer… et réellement, je ne vous dirai pas pourquoi car ce serait un gros spoiler même si on le sait dès les premières pages, on se demande s'il n'a pas un peu raison, quelque part…
Enfin, on rencontre aussi cette jeune femme, sans nom, sans passé, juste un corps pendant tout un temps, qui vient confier son histoire à un pasteur – comme si elle cherchait une quelconque forme de pardon. Mais là, contrairement à l'identité et aux motivations du meurtrier précité, on ne comprend rien de cette femme, on ne voit pas trop ce que son histoire vient faire au milieu de reste, mais on comprend d'emblée, même vaguement, qu'elle a quelque chose à voir avec les deux autres – forcément, sinon Deon Meyer ne perdrait pas autant de temps à la mettre en scène !

Ces trois personnages et tous ceux qui gravitent autour d'eux prennent vie grâce à cette plume particulière de Deon Meyer : c'est une écriture assez descriptive, presque journalistique, qui présente un certain détachement par rapport aux événements et aux personnages. Cependant, dans le même temps, c'est un narrateur omniscient qui colle au plus près de chacun de ces trois-là à tour de rôle, alternant cette proximité en passant de l'un à l'autre au sein d'un même chapitre, parfois d'un paragraphe à l'autre, mais en insistant tellement sur de menus détails qui pourraient sembler insignifiants à première vue, qu'on comprend aussitôt qu'on est passé au suivant. Par ailleurs, on entre réellement dans « l'intimité » de chacun, sans pathos et sans effet particulier, mais au plus près de la vraie vie, ce qui rend ces personnages particulièrement réalistes, proches de nous, on a réellement l'impression de se trouver à leurs côtés le temps d'une histoire.
Pour moi cette plume est tout simplement magnifique, pas parce qu'elle serait poétique ou enchanteresse, ce n'est pas de cet ordre-là, mais parce qu'elle aborde « l'air de rien » et avec une justesse extraordinaire, des thèmes terriblement humains qui continuent de résonner même quand on a tourné la dernière page du livre.

Parmi ces thèmes abordés de cette façon glaçante de réalisme, on a en premier lieu le drame de l'alcoolisme qui, ici, n'est pas abordé d'un point de vue extérieur, mais on est réellement au coeur du combat contre ce fléau avec Benny. On ressent son désespoir, ses doutes, son immense amour pour sa femme (et leurs enfants) qu'il n'a pas réussi à préserver, son combat jour après jour, heure après heure, cette soif qui ne le quitte jamais et qui est exacerbée quand il ne voit plus que toutes ces publicités à la télé ou sur les routes (qui magnifient le verre de bière qu'on sera si content de boire en rentrant chez soi après une rude journée dans la chaleur, par exemple) – un peu comme une personne au régime ne voit plus que des images de nourriture ! On voit les dégâts que l'alcool a causés sur son corps, sur son visage, mais plus encore sur son esprit, ou par exemple les premières étapes « violentes » d'un sevrage brutal – mais existe-t-il d'autre moyen de s'en défaire ?...

Les autres thèmes sont tout aussi dramatiques, et touchent profondément (et je ne prétends pas en faire une liste exhaustive) : le drame des enfants victimes des adultes (de quelque manière que ce soit) et l'absence de réelle « punition » pour les auteurs de ces méfaits – que ce soit par vice de procédure, par manque d'engagement des policiers, ou parce que la police est dépassée, tout simplement ; le racisme latent dans une société qui a dépassé l'apartheid mais où la discrimination positive n'est pas forcément une solution qui va effacer toutes les barrières, au contraire !; la prostitution, chaque histoire particulière que ce « choix » de vie peut représenter ; le trafic de drogue international, un peu caricatural ici, mais qui n'en semble pas moins criant de vérité ; la guerre des polices, entre les différents services qui se disputent une même affaire et se mettent des bâtons dans les roues au lieu de collaborer en toute intelligence, ou la corruption dans cette même police ; etc.

Par ailleurs, on ne peut passer à côté du fait qu'on est en Afrique du Sud. J'ai évoqué ce racisme latent parmi les thématiques « fortes » abordées dans ce livre, un racisme qui est bien différent (si c'est possible) de ce qu'on peut lire sur un sujet similaire aux États-Unis par exemple. Il est plutôt question, ici, de juste retour des choses (quand il s'agit de discrimination positive), mais comme toute discrimination quelle qu'elle soit, elle est plutôt mal vécue par ceux qui sont du coup laissés de côté ; ça évoque aussi cette présence originelle des guerriers xhosas et autres zoulous, leurs traditions séculaires qui ont survécu malgré tout et qui sont désormais devenues des attractions touristiques pour riches Européens. On dénonce aussi cette autre forme de « racisme », entre Blancs, qui se traduit par une rivalité récurrente entre les Afrikaners de souche et les descendants des Anglais. C'est toute une société complexe, et qui semble éternellement à la recherche d'elle-même, qui est décrite ici, toujours sur ce même ton quelque peu détaché et pourtant prégnant. le tout se fait par touches subtiles mais donne une impression d'omniprésence. Et n'oublions pas les nombreuses allusions à la terre sud-africaine même, lors de la description de paysages grandioses lorsque le tueur ou Benny sont sur la route par exemple – et on ressent ainsi tout l'attachement de l'auteur à son pays dans toute sa beauté et toutes ses contradictions, on a vraiment le sentiment d'y être sans trop comprendre cependnt, on a envie d'y aller !

Tout cela donne l'impression d'une enquête à triple entrée, avec trois personnages également importants même si, indéniablement, c'est bien Benny (et son alcoolisme) le principal héros. le lecteur reçoit d'emblée quelques clés, qui ne lui permettront pas pour autant d'ouvrir toutes les portes mais qui donne quand même un petit côté « initié », alors on suit la narration avec un intérêt, une tension sous-jacente constante. La résolution n'est pas (du tout) ce que l'on attendait, mais par miracle elle est mieux encore (je n'en dis pas plus car ce serait divulgâcher !) et, sachez-le : on ne saura pas dans cet opus-ci si Benny réussit à surmonter son problème d'alcoolisme… mais de toute façon on n'est pas au bout de l'ultimatum des 6 mois imposé par sa femme, donc il ne reste qu'à aller lire les autres tomes qui mettent ce personnage si attachant en avant !
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}