En Afrique du Sud, où quarante pour cent des viols d'enfants sont imputables au mythe selon lequel ce crime permet de guérir du sida, sur qui peuvent compter les victimes, vers qui peuvent-elles se tourner si le système judiciaire est défaillant, la police corrompue et inapte à les protéger ou à leur rendre justice ? Elles peuvent compter sur Thobela Mpayipheli, d'origine Xhosa, rentré au pays après avoir baroudé en Europe au service de la Lutte. Après la mort de son fils adoptif Pakamile, innocente victime collatérale d'un braquage dont les coupables se sont étrangement évadés de prison avant d'être jugés, il devient pour la presse Artemis, pour la police le justicier à l'assegai, arme traditionnelle des Zoulous, et élimine impitoyablement ceux qui s'en prennent aux gosses. Je ne déflore pas le suspense, ces éléments sont révélés dès les premières pages du roman.
Dans
le pic du diable, l'auteur met en scène des personnages représentatifs de la nouvelle Afrique du Sud, écartelés entre l'ancien et le nouveau monde. Benny, le flic blanc qui ne croit plus en rien, sauf en toute boisson susceptible de se mélanger à du cognac est alcoolique. Pas mondain, pas de ceux qui traînent leur mal-être vaguement existentiel de cocktails en pince-fesses. Lui bousille sa famille, lorsqu'il rentre, c'est pour vomir, frapper sa femme et insulter ses enfants qu'il adore, ce dont il ne garde aucun souvenir le lendemain, jusqu'au jour où il est foutu dehors avec un ultimatum : boire ou voir ses enfants, il doit choisir. Benny hospitalisé, en proie au delirium tremens, subit des traitements, vit chaque jour, chaque minute, chaque seconde, comme un impossible combat vers la sobriété, qu'il sait au fond de lui, perdu d'avance. Christine est afrikaner, blanche, blonde et belle, de « bonne » famille. Son père militaire brusquement illuminé par une foi fanatique, inflige à sa famille des longs sermons décousus et références ineptes à la bible qui poussent Christine à s'enfuir, puis à devenir travailleuse du sexe, quand elle comprend qu'en une soirée, elle peut gagner le misérable salaire mensuel généreusement versé par un patron exploiteur. Et surtout Thobela... Ah Thobela !
Deon Meyer raconte l'Afrique du Sud, et il la raconte bien dans un style riche et agréable saupoudré de mots ou expressions afrikaners ou zoulous, dans toutes les nuances des couleurs de peaux et origines ethniques et sociales de ses habitants, dans tous ses paradoxes ou ambivalences. L'apartheid a été officiellement terrassé, merci Nelson, mais l'apartheid a laissé des marques indélébiles qui surnagent dans la société comme des yeux gras sur un bouillon sous forme de discrimination larvée et subtile, violence, corruption.
le pic du diable est un roman qui vaut autant pour son atmosphère, pour ses aspects historiques et sociaux que pour son intrigue policière dont l'épilogue n'est pas du tout, mais alors pas du tout, conforme aux codes du genre.