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Critique de Erik35


POUR LA DÉFENSE DES MINORITÉS AUTOCHTONES.

Sur Technorog, tout est dédié à l'hyper-production, à l'industrie, au mercantilisme et tout ce que cette planète d'apparence inhabité compte de ressources, de gisements est systématiquement, consciencieusement exploité. La race de colons, d'explorateurs qui vivent sur une telle terre est à la hauteur d'un tel filon : ingénieurs, capitaines d'industrie, ouvriers hyper-qualifiés, ces hommes ne pensent qu'à une chose, n'ont qu'un seul et unique but : travailler et encore travailler pour rentabiliser toujours un peu plus la mise en coupe réglée de cette planète-filon.

Hélas, après un trajet spatial d'environ quatre millénaires, les habitants originaires de ce qu'ils nomment "Alflolol" ont décidé de rentrer au bercail. Hélas, car ils vont tout autant tomber sur cet os industrieux (et peu enclin à la commisération, à la tolérance, à l'humanité) que nos laborieux terriens vont se sentir d'abord débordés par ces indigènes momentanément absents puis comprendre ce retour parfaitement légitime comme un sérieux problème, une entrave aux courbes de croissance et de production.

Très vite, nos deux héros vont se trouver confronté à des choix terriblement cornéliens : d'une part, leur grande empathie pour ces "habitants premiers" les engage à en prendre la défense - d'autant qu'ils sont parfaitement débonnaires, pacifiques pour ne pas dire pacifistes, et désintéressés, pour peu qu'on les laisse regagner leurs logements délaissés depuis si longtemps et reprendre leurs habitudes respectueuses de leur environnement de chasseur-cueilleurs. D'autre part, si des lois oblige les colons à respecter les primo-habitants, la colonie est installée depuis déjà deux siècles et ne pouvait en aucun cas prévoir le retour de ces drôles de paroissiens. Les frictions sont inévitables, des perdants à prévoir. Dans un premier temps, Valérian et Laureline prennent inconditionnellement la défense de ces sympathiques géants, doués de pouvoirs souvent étranges mais dont il ne se servent jamais que dans de bonnes intentions ou, au pire, comme armes strictement subversives mais non-létales.

Peu à peu cependant, nos deux aventuriers vont suivre deux stratégies proprement irréconciliables. Lauréline va prendre fait et cause - jusqu'à risquer un certain manichéisme - pour Argol et ses compatriotes tandis que la position plus intermédiaire de Valérian va lui faire, finalement, avaler pas mal de couleuvres émanant des responsables terriens de Technorog, lesquels vont littéralement parquer nos alfloliens - toute similitude avec le drame des indiens d'Amérique n'est évidemment pas fortuite - jusqu'à leur imposer un travail digne du pire taylorisme en contrepartie d'une indigeste contribution terrienne à la survie de ces malheureux gargantuas.

Considéré comme l'un des meilleurs album de la série des Valérian, Bienvenue sur Alflolol est très probablement l'un des plus politiques, l'un des plus contestataires et séditieux, remettant tout à la fois en cause le monde capitaliste, destructeur de monde, de nature, d'environnement et insupportablement dévoué à la seule "valeur" travail, ainsi qu'aux dividendes qui peuvent en découler, et remettant en perspective des drames humains, pour ne pas écrire des génocides, tels que le vécurent les indiens d'Amérique (les "Native american" comme on l'exprime là-bas), mais tels que le vécurent de nombreux peuples "premiers" à travers le monde, en partie sous la houlette et la pression constante de notre occident besogneux, industrieux et expansif à l'idéologie malheureusement reprise par toutes les grandes nations à travers le monde désormais. (C'est ainsi que nous perdons, par exemple, l'équivalent d'un pays comme la Nouvelle-Zélande en forêt, chaque année...)

Alors, bien entendu, on pourra trouver Laureline trop définitive, trop blanc ou noir, excessive, partiellement intolérante dans son discours et ses reproches à un Valérian qui, à force de vouloir comprendre les uns et les autres, à force de concessions, de supposée voie médiane et, malheureusement, s'accomplissant finalement au détriment des uns face aux autres, fini par ne plus se faire que des ennemis : pas assez conquérant, trop mou, pour les terriens et franchement traître à la cause de la justice pour les seconds. L'ouvrage date de 1972, tandis que nous sommes sur la fin de ces fameuses "Trente-Glorieuses", que le premier choc pétrolier n'a pas encore eu lieu, que l'écologie politique est presque parfaitement inaudible, qu'il faudra encore attendre deux ans pour qu'un "écologiste", René Dumont, se présente à la présidentielle dans notre pays, pour un résultat électoral d'ailleurs dérisoire.

Il n'a cependant pas pris beaucoup de ride face aux enjeux actuels où il semble qu'il s'agit rien moins que de sauver notre planète. Pierre Christin et Jean-Clude Mézières ont très tôt su sentir, pressentir les grands défis que notre humanité productiviste aurait à relever. Il ne semble pas encore acquis, quarante-cinq ans plus tard, que le message soit parfaitement entré dans les esprits. du moins, et c'est d'ailleurs ce qu'ils présentent lorsque l'on regarde d'un peu plus près ce que pense les dirigeants de cette terre inventée, conjecturent-ils que nos élites auraient le plus grand mal à "changer de logiciel" ainsi qu'on l'exprime aujourd'hui.

Quant au dessin de Jean-Claude Mézière, il est, plus que jamais, et à condition de ne pas être trop désappointé les codes de l'époque, parfait, incroyable, d'une richesse et d'une imagination sidérante dans ce planet opéra grave et drôle tout à la fois.

A le relire plusieurs fois, on comprend aisément qu'il soit parmi les must de la BD de Science Fiction de cette époque de pionniers !
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