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Critique de Erik35


C'EST VRAIMENT PLUS FORT QU'EUX...

Point Central... On ne sait plus vraiment de quand ça date, on ne se souvient pas plus qui y furent les premiers, c'est tout juste si l'on sait réellement à quoi cela sert, si seulement cela sert à quelque chose... Et pourtant, ça existe : une accumulation, un regroupement, un entassement, une superposition, un agrégat absolument invraisemblable et inédit de vaisseaux en tous genres, de morceaux de planètes, d'assemblage de ferraille, de bâtiments enchevêtrés, venant de tous les horizons de la galaxie et composé d'autant de peuples qu'il a pu en venir, dans un esprit de paix, au cours des siècles. La plupart ne se sont jamais rencontrés directement, certains d'entre eux étant affreusement radioactifs, d'autres trimbalant sur leur peau de terrifiants poisons, d'autres encore préférant tel ou tel gaz à tel autre. Mais tous peuvent communiquer entre eux, et c'est là le... point central, n'est-ce pas ?

Régulièrement, ce qui s'apparente à une présidence tournante de ce "machin" difficilement descriptible change de main. Et cette fois, ce sont les terriens qui en ont obtenu l'insigne charge. C'est ainsi que nous allons retrouver notre cher Valérian - toujours aussi pusillanime et lopette devant l'autorité -, Laureline - d'une obéissance très relative face à cette même autorité, malgré ce qu'elle ne cesse d'affirmer dans cette aventure - et l'Ambassadeur de la Terre qui a un plan... Que l'on peut aisément résumer en quelques mots : asservissement, colonialisme, autoritarisme et commerce galactique.

Malheureusement - du moins, si l'on se place du point de vue de l'Ambassadeur -, rien ne va se dérouler comme c'était d'abord prévu. Lui, ainsi que Valérian parti faire les chevaliers blancs à sa rescousse, vont être kidnappés par d'immenses gaillards plus ou moins reptiliens et emmenés vers les tréfonds de Point Central. La suite, c'est une vaillante Laureline au caractère bien trempé et aux décisions de fer qui va en prendre la direction - c'est d'ailleurs le premier album de la série dont elle est, assurément et "physiquement", le personnage principal, Valérian ne montrant plus le bout de son nez de la quinzième à la trente-huitième page, sur un total de quarante six planches. Honneur à cette intrépide demoiselle, donc -.
Et reconnaissons qu'avec Laureline, ça dépote ! Embarquant dans sa suite un malheureux et servile colonel préposé au protocole (par ailleurs assez proche du degré zéro de l'utilité et du courage), Laureline va pénétrer les arcanes méconnus - lorsqu'il ne sont pas totalement tombés dans les limbes du passé de cette extraordinaire plateforme spatiale - de cette sorte de planète improbable, s'aidant d'un plan acheté à prix d'or auprès de trois drôles de personnages, des Shingouz, espèce provenant d'une planète tellement pauvre qu'elle s'est faite une spécialité de l'espionnage tout azimut et de la revente, pour des sommes peu modiques, des informations récoltées. Heureusement, l'Ambassadeur avait eu la merveilleuse et salutaire idée de confier à notre ravissante et efficace héroïne une drôle de petite bête, ronchon et sympathique à la fois : le transmuteur grognon de Bluxte, qui possède la caractéristique incroyable de reproduire en très grande quantité n'importe quelle matière. Ainsi peut-il vous "sortir" (littéralement) des perles, des pierres précieuses, diverses monnaies, des existants, des poisons, des antidotes, etc. le seul risque étant de le tuer à force d'abuser de cette caractéristique fabuleuse.

Ce titre est un véritable hommage à la différence, à l'altérité : c'est sans doute l'album de Valérian dans lequel Jean-Claude Mézière aura le plus montré toute l'ampleur de son génie à créer un nombre faramineux d'espèces extra-terrestres jamais atteint en un seul album. Certains, comme les fameux Shingouz, plairont tant à son ami et complice le scénariste Pierre Christin qu'ils seront réutilisés, devenant des personnages récurrents, dans des albums ultérieurs comme Les Spectres d'Inverloch, Les Cercles du pouvoir ou encore Par des temps incertains. de même en sera-t-il du transmuteur, animal le plus marquant de la série.
Mais les autres peuples présentés ici, que l'on croise plus qu'on a véritablement le temps de creuser leurs personnalités, ont tous quelque chose d'étonnant et d'enrichissant dans leur singularité, jusqu'à ces "ombres" de l'histoire, veilleurs invisibles mais bienveillant et équanimes de ce monde en équilibre sur lui-même, qui semblent surgit d'un vieux rêve utopique de sagesse et de tolérance. Au sein de ce melting-pot de races, de cultures, de provenances, il faut cependant admettre une chose : les éternels fauteurs de trouble, les vils profiteurs d'un système qui fonctionnait finalement plutôt bien sans eux, les plus grands orgueilleux, les plus insupportables et violents des autocrates, ce sont les représentants de l'espèce humaine, toujours tellement convaincue de sa supériorité - parce qu'elle détient l'avantage technologique, qu'elle considère toujours comme l'avantage ultime, sa nécessité comme sa finalité, à défaut d'avoir la moindre avance philosophique, la moindre sagesse véritable -, toujours prête à en découdre d'autant plus férocement et avec toutes les meilleures fausses intentions du monde, toutes les justifications les plus improbables, les plus indécentes, les plus viles, dès lors que son appât du gain, son gout du lucre, sa volonté de puissance sont en jeu.

Alors, à travers cet improbable avatar d'un ONU du centre hypothétique de la galaxie qu'est ce Point Central, c'est une véritable leçon d'humanisme que ces espèces étranges, indéfinissables, extravagantes finissent par donner à l'espèce dont ce substantif est pourtant dérivé.
Laureline l'aura compris très vite qui leur sera confrontée dans sa quête pour retrouver "son" Valérian, tandis qu'il lui faudra en passer par une sorte de «lavage de cerveau» (c'est ainsi qu'il le nomme) pour que l'insupportable ambassadeur comprenne enfin que paix, respect, reconnaissance de l'autre dans ses différences sont les vrais fondements de toute vie en communauté bien mesurée. Ces thématiques ne pouvaient qu'impressionner et motiver le cinéaste et producteur Luc Besson, que l'on retrouve de film en film depuis "Le Grand Bleu", puisque c'est cet album qu'il prit la décision d'adapter au cinéma en cette année 2017. Il est aussi à noter que ce n'était pas la première fois que le cinéaste s'appuyait sur l'imaginaire absolument fabuleux - il faut voir les quatre premières planches de ce sixième opus pour s'en convaincre : du grand, du très grand "space opera" ! -de Jean-Luc Mézière puisque ce dernier collabora activement à la création des décors du "5ème élément" (les voitures volantes de New-York ainsi que l'impressionnant hall du Floshton Paradize, entre autres, sont sortis de ses planches à dessin). Cet homme est un génie !
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