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Critique de clesbibliofeel


A cinquante ans Leonora Miano revient sur les grands moments de précarité qu'elle a traversés. Stardust est son premier roman, écrit il y a plus de vingt ans, pendant la période au cours de laquelle elle fut accueillie dans un centre de réinsertion d'urgence du 19e arrondissement de Paris. La jeune femme a quitté le Cameroun pour venir étudier en France, et surtout pour devenir chanteuse. Puis elle a rencontré un garçon, est tombée enceinte et a abandonné la fac, puis le garçon. « J'étais alors une jeune mère de vingt-trois ans, sans domicile ni titre de séjour. » le Je de l'introduction se transforme ensuite en Elle... pour tenter une mise à distance de son infortune d'alors. Elle parle d'Elles, de Louise et de Bliss sa fille. L'auteure, maintenant reconnue, avec de nombreuses publications et de belles récompenses, entend bien « … ne pas être la SDF qui écrit des livres ».

Voici une bien belle lecture, entraînant sur des thèmes rarement traités, surtout avec cette qualité littéraire et l'originalité d'écriture de Leonora, ses phrases percutantes, aux aguets, images frappant immédiatement le lecteur, dans une musicalité propre aux grands écrivains. D'ailleurs l'autrice voulait être chanteuse, son objectif premier pour être reconnue, avoir littéralement une voix. Est-ce pour cela que son écriture a un rythme aussi envoûtant ?

Le témoignage est précieux. le livre est travaillé pour conserver un équilibre précaire entre les faits et ce qu'il pourrait en coûter à l'autrice célèbre de trop se dévoiler. Est-ce totalement réussi ? Oui, tellement il révèle de l'intime et impressionne, questionne le lecteur. J'ai trouvé toute la première partie du livre passionnante, une immersion dans un dédale d'obstacles effarants pour la personne qui se retrouve en marge de la société, sans travail, sans revenu, sans domicile… et avec un enfant. Elle est obligée d'accepter de l'aide, mais en même temps cette aide l'humilie, la renvoie à ses échecs. Elle décrit en forçant parfois le trait… la caricature n'est pas loin. Par exemple, à la fin du récit quand elle parle de ce qu'elle nomme « les activistes » qui veulent accompagner les résidentes du CHRS (centre d'hébergement et de réinsertion sociale) dans une lutte, afin de dénoncer les conditions déplorables de l'accueil. Elle observe, avec méfiance, il est question de « meneuse androgyne », d'« humanisme médiatique ». « Louise ne croit pas aux associations de galériens » et renvoie la responsabilité du changement aux autres : « … ceux qui ne vivent pas forcément la même peine, qui n'ont peut-être jamais connu pareille tragédie, mais qui accordent de la valeur à un où deux grands principes. La nécessité d'éradiquer la misère doit obséder ceux qui vivent dans l'opulence. » Comment prendre encore un risque de plus quand on est au fond du gouffre social ? L'autrice apparaît ici solitaire, méfiante dans sa volonté de ne pas flancher, mais fait marcher son intelligence afin de trouver la porte de sortie, ne pas faire le faux pas qui pourrait être fatal pour elle et pour sa fille. La lutte collective reste improbable pour ces femmes si différentes, uniquement préoccupées à trouver une nouvelle estime d'elles-mêmes. La volonté de reconnaissance vaut pour toutes, ce qu'elle supporte mal autour d'elle, elle le vit aussi. A-t-elle besoin de massacrer tout ce qui lui ressemble ?

L'aide de la société, même imparfaite – mais peut-elle être parfaite ? – a été précieuse pour Louise qui ne se laisse pas faire, entend rester debout quoi qu'il arrive et va y parvenir. L'autrice prend le risque d'expulser ce qui l'a blessée, tout en gardant un maximum de lecteurs, restant sur le fil de questions clivantes. Si elle dénonce les activistes en soif de reconnaissance personnelle, l'humanisme médiatique insincère, dans le même temps ce livre est un brûlot pour que les choses changent. Elle révèle lors de la promo de la rentrée littéraire 2022, avoir été déléguée syndicale dans la boîte où elle a travaillé après ces années de galère, pour faire quelque chose contre l'injustice. Ses portraits sont empreints d'une empathie profonde comme celui d'Azerwal qui est chargé de l'accueil au centre. Ce portrait mérite à lui seul la lecture du livre. Inoubliable !

Le livre est dédié à sa fille, à sa grand-mère maternelle et à ses compagnes d'infortune. Je salue la démarche de Leonora Miano écrivant sur le courage des femmes, sur tous celles que les accidents de la vie poussent dans l'exclusion.
Leonora Miano est née à Douala au Cameroun en 1973. Elle est venue en France en 1991 pour ses études. Grande voie de la littérature française, elle est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages, lauréate du Goncourt des lycéens en 2006 pour Contours du jour qui vient, du prix Seligmann contre le racisme en 2012 pour Écrits sur la parole, du prix Femina et du Grand prix du roman métis en 2013 pour La saison de l'ombre.

Avez-vous lu des romans de Leonora Miano, êtes-vous intéressé (ée) par ce texte de dignité, de fierté ? Pour ma part, je compte bien en lire d'autres, après ce récit de jeunesse annonçant la naissance de la grande autrice qu'elle est devenue.
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Cette chronique est présentée sur le blog clesbibliofeel avec une photo et un titre d'illustration sonore. Il s'agit d'une interprétaion de la jeune chanteuse et guitariste de blues Melody Angel. La jeune virtuose de la guitare blues de Chicago interprète un « tube » de Big Mama Thornton, repris notamment par Janis Joplin, le fameux « Ball and chain ». Titre cité dans le texte de Leonora Miano. le ton m'a semblé bien illustrer la démarche de l'autrice. Qu'en pensez-vous ?
Lien : https://clesbibliofeel.blog/..
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