Le bâtard que j’étais devait porter l’odieux de la chose. Je devais subir les foudres du roi maudit et en accepter la pleine responsabilité. Je m’isolais de plus en plus.
Je vivais comme si le moindre bon moment devait avoir une fin, ce qui me rendait vulnérable. Je ne croyais plus à la pérennité des choses et des rapports.
À cette époque, je voyais l’enfance comme une prison dont j’allais enfin pouvoir m’échapper en devenant adulte. J’ai d’ailleurs appris à compter en biffant sur le calendrier les jours qu’il me restait à faire avant d’arriver à ma libération. Atteindre dix-huit ans était beaucoup plus qu’un but, c’était devenu une obsession.
Il me foudroya du regard, me fixant sans relâche durant d’interminables secondes pour bien imposer sa suprématie et me faire sentir mon impuissance. J’essayai tant bien que mal de soutenir son regard malveillant. J’y parvins à force de bravoure ou d’inconscience, je ne sais trop.
Chaque pas que je faisais vers la voiture m’extirpait de leur joug; un joug imposé graduellement depuis mon arrivée. J’ai jeté un dernier regard furtif dans leur direction, sans même esquisser le moindre sourire; ma mâchoire était bien trop serrée. Ils pouvaient me dévisager avec hostilité, je ne les craignais plus. Je ne les craindrais plus jamais. L’emprise qu’ils avaient eue sur moi s’était définitivement envolée.
J’allais partir une fois de plus à la conquête d’un nouveau chez-moi, la demeure des Rivard. J’étais plein d’inquiétudes, les mêmes qui m’habitaient depuis trop longtemps et qui me hantaient nuit et jour. Ma tête était remplie de pensées confuses. Mon cœur était tout barbouillé. J’avais l’estomac noué. Pourtant, j’avais l’habitude de ces départs prématurés.
Le seul que je connaisse suffisamment et que j’applique au besoin est celui de la résilience: se relever après l’adversité. Ce qui exige de nous courage et ténacité.
Quand la mort arrive, elle prend toute la place. Elle refuse obstinément de la céder. Elle s’invite, puis elle s’insinue dans tous les aspects de notre vie, comme un poison. Pendant un long moment, il n’y a qu’elle qui existe.
La mort était une voleuse de lendemains.
La télévision m’offrait une échappée sur un monde différent du mien. J’étais suspendu aux lèvres des gens qui s’y racontaient. Je voulais comprendre les êtres humains comme le faisait avec compassion et respect Janette Bertrand.
Ils étaient tous là devant moi à m’observer; ils cherchaient par tous les moyens à comprendre qui j’étais. Jamais je ne leur ai laissé ce rare privilège. J’étais recroquevillé dans un coin du salon, comme un animal traqué devant une meute de loups.