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Critique de HordeDuContrevent


Parmi les livres de la littérature roumaine traduits par Gabrielle Danoux j'avais l'embarras du choix. Je dois avouer que j'ai choisi celui-là pour commencer cette découverte du fait de son titre. La femme chocolat. Il me suffit de lire ce titre ou de l'écrire pour avoir la chanson d'Olivia Ruiz en tête : « Taille moi les hanches à la hache / j'ai trop mangé de chocolat. Croque moi la peau s'il-teplait / Croque moi les os s'il le faut [….] Au bout de mes tout petits seins / s'insinuent, pointues et dodues / deux noisettes , crac ! Tu les manges ».

Bien m'en a pris. Un titre gourmand pour un livre qui ne l'est pas moins. Gourmand, bien écrit, sensuel, percutant, ironique, plein d'humour, poétique et pourtant relatant un drame, drame amoureux du point de vue de celui qui raconte l'histoire : Negrişor. Un livre qui ressemble à une nouvelle. Un livre qui se lit d'une traite.

Negrisor est amoureux d'Eleonora, qu'il nomme la femme chocolat du fait de la couleur de sa peau et de l'appétit qu'il éprouve pour elle. Or, celle-ci, pourtant pas indifférente, a également un autre prétendant, Modreanu, qui l'attire moins physiquement mais qui est plus rassurant psychologiquement, du moins moins incohérent. Negrisor, il est vrai, a du mal à exprimer clairement ses sentiments, est terriblement maladroit. Il oscille avec loufoquerie entre songes éveillés et désirs suicidaires, paranoïa et élans d'amour pur.
Comme il est indiqué dans un prologue très intéressant, narrant la vie de l'auteur (ce que j'ai particulièrement apprécié vu que je découvre totalement la littérature roumaine – excepté Ionesco - et cet auteur), Interrogé en 1932 au sujet de la Femme chocolat, Mihăescu répond : « La Femme chocolat est une bachelette qui a le teint couleur chocolat. C'est tout et rien de plus. Cependant, quel subtil venin, quel drame, quel pouvoir meurtrier, latents, ne gisent sous cette apparence douce, sous cette peau mate, comme assombrie par la couleur du crépuscule éternel, qui d'emblée semble prête à fondre délicatement sous la compression du premier baiser, comme un carreau de chocolat ».

J'ai adoré dans ce petit livre les scènes de rêves éveillés d'un humour décapant. J'ai souri, j'ai ri. J'ai compati aussi. « La force de son imagination accentuait son attendrissement. Il se figura écrasé sur le bitume, déchiqueté par les crocs métalliques, Modreanu et Eleonora debout sur l'appui de la fenêtre : lui l'air triomphant, elle, tétanisée devant la grande révélation. Elle se rendait enfin compte de la grandeur de l'âme qui l'avait aimée et à quel point elle avait été aimée par cet esprit devenu, pour elle, quartiers d'animal abattu. »

J'ai aimé les nombreuses descriptions sensuelles de cette femme chocolat : « À peine les larges manches avaient-elles recouvert les épaules, qu'aussitôt les mains agiles se mirent à ranger les cheveux et exposèrent ainsi leur entière beauté, dévoilant même les obscures fossettes des aisselles, pendant que la fente du décolleté autorisait la découverte, avec une certaine agitation, tels les clignements rusés d'un oeil géant, de cette rainure entre les deux seins frémissants. »

J'ai étéparticulièrement sensible à la poésie qui jalonne le récit : « le pas de Negrişor prenait une allure de plus en plus nerveuse, alors qu'elle le regardait avec des yeux démesurément grands qui, crescendo, devenaient phosphorescents, comme s'ils se décomposaient en milliers de minuscules étincelles, infiniment nombreuses, pendant qu'elle le regardait. La lumière ainsi dégagée permettait à Negrişor de voir comment sur ses lèvres un nouveau sourire, inconnu, grandissait. »

J'ai aimé entrevoir cette ville roumaine de Cluj, même si l'essentiel des scènes se déroulent en intérieur (j'imagine très bien une adaptation sous la forme d'une pièce de théâtre d'ailleurs) : « La rue ensoleillée se déroulait devant lui, les parfums colportés par les filles coulaient à flots dans le caniveau, les jambons suspendus aux devantures des épiceries et les tonneaux de tarama, de harengs fumés et de fromage dressaient le tableau de l'abondance et du bonheur universels comme le bruit de la rue, le bourdonnement des abeilles, les chevaux décharnés des cochers et même cette merveilleuse statue équestre de Matthias Corvin qui se trouvait juste là, bien installée sur son socle ».

En ouvrant ce livre je n'attendais rien, et j'ai été agréablement surprise. Pas de doute, je vais continuer à parcourir des oeuvres de la littérature roumaine en remerciant chaleureusement Gabrielle Danoux pour cette belle découverte.
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