Candyland

Même s'il lui manquait un golden retriever et une épouse potiche, sa grande maison coloniale à bardeaux était l'incarnation même du rêve américain, jusqu'à cette piscine enterrée comme Sadie n'en avait vu que dans les magazines.

... espérait qu'Allison brûlerait en enfer et mâcherait du verre pilé pour l'éternité, une fois que Satan en personne lui aurait arraché toutes les dents pur s'en faire un collier.

Pour se faire une idée de l’endroit, il fallait comprendre que la gnôle de contrebande et la meth étaient des denrées précieuses à Cane, quasiment aussi prisées que l’or. Depuis la récession américaine, la monnaie de Cane était frappée dans l’illégalité. Le comté était devenu (ou resté, selon les avis) une zone de non-droit, que Braxton tentait d’empêcher de se désagréger comme une boule de graisse brûlante, les concepts de loi et de justice lui filant entre les doigts.

« Je devrais vous arrêter.

— Vous êtes peut-être une tête de mule, dit-elle en détournant les yeux, mais je ne pense pas que vous soyez stupide. »

Braxton lui jeta un regard oblique, la haïssant pour son nom, pour tout ce qu’elle était. Il s’appuya sur la rambarde du pont, la tête baissée, regrettant déjà de lui avoir adressé la parole.

« Tous les flics veulent votre peau.

— Il paraît, dit-elle avec un reniflement dédaigneux.

— Pourquoi moi ? demanda Braxton en croisant les bras. Je veux dire, depuis quand les Heinz ont-ils besoin des flics ? Alors que vous avez toutes ces règles et ces lois rien qu’à vous là-haut ? Votre famille s’est montrée très claire là-dessus, depuis une bonne centaine d’années. »

L’inspecteur Braxton. Un très bel homme, pour qui ne le connaissait pas. À une époque, il aurait pu avoir toutes les femmes qu’il voulait. Sauf que Braxton n’avait jamais été destiné à faire de vieux os. Son problème ne venait pas de circonstances extérieures, mais de ses penchants autodestructeurs, combinés à des goûts déplorables en matière de femmes ; et le fait qu’il entamait l’apéritif au saut du lit n’arrangeait rien. Le flic alcoolo. Un cliché vivant, en somme.

« Allô, je voudrais signaler une disparition… »

Son appel était une épine dans le pied de policiers pressés de quitter le navire pour éviter les bouchons de Thanksgiving.

Tout le monde le regardait, l’attendait, le plaçait au centre d’une attention qu’il n’avait pas désiré. Une fille et un bébé portés disparus. Il était prêt à parier qu’on retrouverait la gamine bien vivante dans le monde réel, où on avait le droit de porter des vêtements de couleur et de montrer un bout de mollet.

« Toujours le même coup, avec ces bouseux. »

Le flic était nouveau dans le métier, et suçotait un bonbon au sirop de bouleau pour lutter contre sa gueule de bois. Il faisait trop froid pour un fichu crime, trop glacial pour quoi que ce soit.

Les hommes rentraient des champs avec la gorge à vif et de longs bâtons, dont ils s’étaient servis pour battre l’herbe à la recherche de Sadie Gingerich, âgée de seize ans, et du nourrisson. Sous leurs chapeaux à larges bords, ils regardaient l’hiver se teinter du rouge et bleu d’une voiture de police silencieuse, qui avançait avec prudence sur le verglas.

Cane, jadis considérée comme le cœur sucré de l’Amérique, malgré son centre rendu creux par l’éventrement des moindres falaise et fourmilière à la recherche de charbon, désormais une vague tache de sang sur une carte. Cane la métallique, la froide. Cane l’impie.