Citations sur Minuit ! New York (43)
Chez les Demarsan, on ne crie pas, on n’a pas peur, on ne se plaint pas, lui répétait sa mère. Mais les monstres existent, elle le savait déjà à l’époque, elle le sait encore plus aujourd’hui.
Elle ne lui a pourtant pas parlé du mystérieux « traqueur » qui la harcèle depuis des mois, qui prétend être l’assassin de son père et vouloir la tuer à son tour, vingt-huit ans après. Elle n’en a parlé à personne. Elle attend quoi ? Qu’il disparaisse de lui-même ? Qu’il se lasse ? Au fond d’elle-même, elle sait bien que cela n’arrivera pas. Comme elle sait, sans avoir besoin de le lire, que le message qui vient d’entrer dans son téléphone est de lui.
Elle a six ans, ce 24 décembre, et elle patine sur la patinoire du Rockefeller Center aux côtés de sa mère quand soudain elle se tord la cheville et tombe. Sur la glace, elle se tient la cheville, grimace, est sur le point de pleurer. Sa mère s’est arrêtée à sa hauteur : « Relève-toi, dit-elle en la toisant de haut, tout le monde te regarde. Arrête de pleurer, ce sont les poules mouillées qui pleurent, je n’aime pas les poules mouillées. Tu me fais honte. Ne fais pas honte à ta mère, s’il te plaît, relève-toi. »
Un conseil, Van Meegeren : n’essayez pas de jouer au plus fin avec moi. On se reverra. Parce que, tôt ou tard, vous allez rechuter, ouais, aussi sûr que ma mère est ma mère et pas la vôtre… Et quand ce jour-là arrivera, je serai là…
Quand on est capable de copier un Picasso et d’enfumer les plus grands spécialistes avec, ça doit être comme jouer au poker face aux meilleurs joueurs du monde et gagner. J’adore le poker, au fait. Je me débrouille, je sais reconnaître quelqu’un qui bluffe, en général. En revanche, Picasso, je trouve ça naze.
Un faussaire ancien repris de justice qui se retrouve comme par hasard dans une salle des ventes où une jeune femme achète une toile à quatre millions de dollars, un type qui attaque la dame à la sortie sans vraiment la blesser et qui disparaît dans la nature pendant que ledit repris de justice se porte à son secours, ces blessures sur votre visage qui m’ont l’air des plus récentes… Moi, je trouve que tout ça mis ensemble ça fait un drôle de tableau, vous trouvez pas ? Genre peinture en trompe-l’œil, vous voyez ? L’abolition de la frontière entre la vie et l’art… une fausse attaque déjouée par un faussaire… un happening, une performance en quelque sorte… Appelez ça comme vous voudrez : c’est vous l’artiste.
Il ne savait pas si la chanson des Strokes disait vrai : celle qui s’intitulait New York City Cops et qui prétendait que les flics de New York ne sont pas très futés. C’était peut-être juste un cliché bidon pour gosses de riche. Après tout, le chanteur des Strokes n’avait grandi ni dans le Queens ni dans le Bronx. Parce que le flic que Léo avait en face de lui avait tout l’air d’être plutôt futé et vicieux, contrairement à ce que disait la chanson.
Léo sourit, se souvint qu’en prison – où les moments de tranquillité, les moments qu’on a à soi sont rares –, le sommeil était une denrée précieuse. Il s’était remis à neiger derrière les fenêtres : de gros flocons épars et duveteux, qui voletaient mollement dans l’air froid, dérivant à travers la rue. Il ressortit et marcha jusqu’à la supérette la plus proche, où il acheta des produits de nettoyage, du dentifrice, du shampoing, du savon, une brosse à dents neuve, puis il se rendit au Gourmet Garage sur Broome Street, où il fit le plein d’œufs, de pâtes, de café en grains, d’huile d’olive, de steaks, de poulet frit de Caroline et de frites d’igname, d’espadon, de bok choy et de radicchio rouge de Trévise.
Elle ne le quittait pas des yeux. Elle n’arrêtait pas, pour autant, de sourire. Son sourire s’élargit même. Elle semblait se poser mille questions à son sujet. Même chose pour Fink – le sourire en moins.
Il n’y a qu’un artiste pour avoir des idées aussi bizarres ! Je t’ai vu filer comme le vent, j’ai bien failli te perdre, j’ai eu beaucoup de mal à te suivre…
« S’appuyer » est un bien grand mot. Elle a l’impression que ces deux-là, correspondants de longue date pour l’agence de ce côté-ci de l’Atlantique, se sont mis d’accord avant son arrivée pour la tenir à l’écart et lui en dire le moins possible. Susan Dunbar, cinquante-huit ans, cheveux argentés, yeux bleu clair et brillants scannant Lorraine en permanence, visage long aux rides profondes mais à la classe indiscutable.