J'avais découvert il y a trois ans à l'occasion de la relâche estivale l'auteur polonais de romans policiers, Zygmunt Miłoszewski avec son titre
Les impliqués. Il s'agissait d'un bon polar, somme toute assez conventionnel, emmené par le procureur Teodore Szacki : assez d'énigmes pour conférer à l'atmosphère une once de ténèbres épaisses et inquiètes. C'était classique, efficace. En voyant les Éditions Fleuve proposer son dernier titre lors de la Masse Critique Mauvais Genre, que j'avais par ailleurs repéré sur NetGalley auparavant, je me suis décidée à candidater. Si
Les impliqués étaient un roman purement polonais,
Inestimable s'arrête très peu de temps dans le pays d'origine de notre auteur : il se déploie bien au contraire de Russie en France jusqu'aux eaux internationales, non loin des côtes d'Afrique de l'Est.
Ce récit cosmopolite prend assez vite des allures de chasse au trésor, qui entraîne Zofia Lorentz notre intrépide héroïne, historienne d'art, professeure et directrice du musée national de Varsovie, dans la quête de quelques trésors oubliés sur l'île de Sakhaline, à l'Extrême-Orient russe. Si la mention de Sakhaline apparaît à travers les quelques lignes du résumé de la quatrième de couverture, je ne vais pas nier que cela a participé à éveiller ma curiosité pour ce roman. La suite du texte prendra des airs de roman d'action lorsqu'elle aura à traverser l'Europe de bout en bout pour passer quelques jours à Paris. Sans que sa route ne s'arrête là, bien au contraire. Cette passion pour l'art et son histoire motivent un vaillant début de roman, plutôt haletant, il nous transporte sur Sakhaline, au passé et au présent, avec en passant un clin d'oeil malicieux à
Anton Tchekhov qui y a consacré quelques mois de sa vie et son ouvrage éponyme L'île de Sakhaline. Même si c'est un passage qui reste, finalement, en marge de l'intrigue principale qui s'exporte plus à l'ouest, j'ai savouré cette brève incursion dans la Russie orientale, sur cette île qui ne se déparait pas de son aura simultanément impénétrable et fascinante.
L'histoire et l'art ne sont dans ce roman finalement que de belles, mais vaines justifications pour couvrir un thème plus terre-à-terre, si je peux dire, celui de l'urgence à trouver et adopter une solution pour freiner les désastres écologiques et l'effondrement des écosystèmes de la planète. le tout, sur fond de solutions pour le moins radicales et extrémistes confrontées à d'autres comportements tout aussi idéologiques et absolus, comme s'il y avait le capitalisme et libéralisme forcenés d'un côté, une sorte bioterrorisme de l'autre, sans absolument aucune autre réflexion et solution médiane entre les deux. En poussant peut-être le trait à l'extrême, l'auteur polonais provoque une juste réflexion sur les écueils et dérivent à éviter. Notre James Bond girl vit des péripéties palpitantes, où la frontière entre bien et mal fluctue constamment.
L'aspect aventurier l'emporte pour moi sur le côté policier, ce roman est définitivement un thriller, aux péripéties poussées parfois à l'extrême, mon allusion à cette exubérance typiquement 007-ienne n'est pas fortuite, en plus assaisonnée d'un surréalisme désopilant et bouillonnant,
au milieu des eaux troubles océaniques dans lesquelles finit par flotter Zofia une journée révolue, équipée de sa super-combinaison de superhéroïne. L'auteur pousse manifestement le bouchon très loin, il n'hésite pas à exploiter son idée jusqu'à la moelle. Si les cascades à la James Bond et un rythme qui s'essouffle rarement tissent la trame de ce roman, je me suis régalée avec les divers apartés que nous accorde l'auteur, entre deux folles poursuites, sur les pays qui ponctuent la narration du roman, et dont nous, français, ne sommes bien évidemment pas épargnés. Cerise sur le gâteau, c'est cette pointe d'humour caustique que l'on retrouve ici et là, l'auteur charriant les uns aussi bien que des autres, son pays natal inclus, sans distinction aucune, mais sans non plus tomber dans la moquerie bête et méchante. Il taquine gentiment les particularités et petits travers de chacun et c'est ce subtil équilibre entre moquerie et flagornerie béate qui rend cette lecture aussi distrayante.
C'est une aventure un peu étourdissante qui change relativement de celles plus conventionnelles du procureur Teodore Szacki : j'aime assez que le traducteur soit un proche de l'auteur, j'aurais tendance à me dire que la version française retrouve encore un peu plus de l'âme de Zygmunt Miłoszewski. Ce mélange épique d'aventures, d'histoire, de conscience écologique, et quelques remarques acerbes et politiques aussi bien sur la France que sur la Pologne me rendent ce titre, et son auteur, très sympathiques.