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Critique de Luniver


L'athéisme a-t-il vraiment une histoire ? On sait que quelques philosophes grecs ont soutenu cette idée quelques siècles avant notre ère, et qu'elle a refaite son apparition à la fin du dernier millénaire. Mais entre les deux, le vide total, le monde est entièrement religieux. Georges Minois conteste cette idée simpliste : en observant attentivement les documents historiques, on retrouve des traces d'incroyance à toutes les époques.

Il y a tout de même plusieurs difficultés à soulever. Tout d'abord, les incroyants ne sont connus pendant longtemps qu'à travers les récits des croyants. Avec les dangers qui menacent les athées, ces derniers ne se réunissent en effet pas et laissent peu de traces écrites. le terme d' « athée » lui-même désigne beaucoup de populations très différentes selon les époques : les déistes, les théistes, les indifférents ou encore les agnostiques. Les hindous seront qualifiés d'athées parce que ne croyant pas au « vrai » dieu, et les catholiques et protestants s'entre-accuseront mutuellement d'athéisme.

On peut imaginer que l'incroyance croît dans la population quand les religieux s'en inquiètent : on multiplie les sermons sur les dangers qui menacent les incroyants, on tente d'apporter des preuves sur l'existence de Dieu, on réfute les arguments forts du moment, etc. Preuves que l'existence de Dieu est remise en question, et que les arguments s'échangent dans la rue, sinon pourquoi lutter contre des remises en cause inexistantes ? Mais difficile là encore de savoir en quelle proportion : dans les périodes troublées, on peut vite brandir un ennemi imaginaire pour motiver les troupes, d'autant que la discrétion des athées peut alimenter bien des fantasmes.

Des indices plus concrets proviennent des plaintes de curés sur la désertion de leurs ouailles : les églises se vident, la fréquentation des sacrements et des confessionnaux diminuent, les excommunications sont vécues dans l'indifférence, certains dogmes sont publiquement niés. Ces plaintes m'ont d'ailleurs beaucoup surpris car je pensais que ces phénomènes s'étaient seulement développés très récemment. Certains milieux sont désignés comme des foyers d'incroyance à surveiller de près : les marins, les soldats, les taverniers, les voyageurs et les livres trop en contact avec les coutumes étrangères, les campagnes isolées où l'instruction religieuse, y compris celle du curé en place, est extrêmement pauvre.

J'ai été particulièrement intéressé par la conclusion de l'auteur, qui n'oppose pas athéisme et religion, mais montre au contraire que des formes différentes de croyances et d'incroyances cohabitent au fil des époques. On a ainsi des périodes rationnelles, où l'être humain fait confiance à sa raison pour comprendre le monde, qui produiront de nombreux débats, des échanges de preuves et d'arguments, qui donneront l'avantage à un camp. En Europe, on peut signaler l'antiquité classique, le cartésianisme et le matérialisme scientifique. Et puis on se lasse de toutes ces guerres, physiques et métaphysiques, et l'irrationnel prend le pas. Toute forme d'autorité dans le domaine est rejetée, seule l'expérience individuelle compte. Ce sont les époques des « religions à la carte », où chacun se concocte son petit cocktail religieux en puisant allégrement dans tous les courants existants. On ne cherche plus à convaincre l'autre, et les critiques sont très mal reçues. Toujours en Occident, on peut relever la fin de l'Empire romain, l'époque de Rabelais, la période post-révolutionnaire en France, et notre monde actuel.

J'ai trouvé l'essai très enrichissant et instructif, comme tous ceux qui présentent un univers avec toute une palette de couleur alors que j'avais l'habitude de le voir en noir et blanc. Quelques petits reproches à faire tout de même : tout d'abord, un militantisme (l'auteur est athée) qui pointe le bout de son nez lors de quelques commentaires. Et un recentrage de la situation aurait été nécessaire de temps en temps : on voit tellement l'athéisme se développer dans certains milieux qu'on est parfois surpris de voir qu'il existe encore des prêtres qui défendent leur religion. C'est vrai que le sujet du livre est l'athéisme, et que développer en parallèle les progrès de la religion est un travail trop conséquent pour un seul livre, mais un point rapide de la situation avant chaque bouleversement aurait été le bienvenu.
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