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Critique de CDemassieux


Comme l'explique remarquablement l'auteur en préambule, Verdun revêt une signification particulière en ce sens que c'est d'abord une bataille d'anéantissement de l'armée française, écrasée par la formidable machine industrielle allemande, alors supérieure ce 21 février 1916, lorsque commence la bataille.
Cette bataille est « d'autant plus meurtrière qu'elle est incessante », faite d'une suite d'offensives ennemies où, lorsqu'une compagnie refuse de se rendre elle est passée aux lance-flammes. Verdun est un « holocauste consenti » car du sacrifice des soldats dépend la victoire. Enfin, cette bataille « a été gagnée par les soldats français, et non par les généraux ». D'où sa place particulière dans l'imaginaire collectif.
Au départ, Verdun avait tout pour tomber comme un fruit mûr, le secteur étant alors fort peu défendu par l'armée française. Mais quelle ne fut pas la surprise des Allemands qui, après un déluge de feu sur un secteur très réduit, découvrirent qu'il y avait encore des poches de résistance à leur attaque foudroyante ! Miquel l'explique ainsi : « Les hommes n'obéissent pas aux ordres, à la logique habituelle de la guerre. Ils tirent pour manifester qu'ils ne sont pas encore au royaume des morts. Leurs coups de feu sont autant de défis, qui manifestent une farouche volonté de survivre. »
Dès lors, une fois que l'état-major a bien compris que Verdun était une offensive majeure, se met en place un va-et-vient incessant de camions qui ravitaillent en hommes, en munitions, en vivres, etc., le front et repartent pour un nouveau chargement : la fameuse Voie sacrée, entre Bar-le-Duc et Verdun. Et pour tenir le front coûte que coûte, côté soldats français, cet état-major, peu soucieux de ses hommes, à chaque fois « les livre en pâture à l'offensive ». D'où l'hécatombe. Parce qu'en face la machine de guerre allemande, terriblement méthodique, ne chôme pas.
Entre alors en scène un homme, appelé à d'autres fonctions moins glorieuses lors de la Seconde Guerre mondiale, Philippe Pétain : « Il savait enfin que rares étaient les chefs qui avaient au combat le souci de ménager les hommes, alors que cette considération était seule capable de permettre au front de tenir. Remplacer régulièrement et rapidement les unités usées au feu devenait son obsession. » Miquel rappelle toutefois que le même Pétain insufflait lui aussi aux troupes cet esprit de sacrifice, poussé à l'extrême à Verdun.
L'auteur montre d'ailleurs combien les morts, côté Français, l'ont été pour une bonne part à cause de l'imprudence du généralissime : « Comme si l'ordre de démanteler les forteresses n'émanait pas de Joffre lui-même, comme si l'insuffisance de l'artillerie lourde n'était pas le défaut de l'armée française depuis le début de la guerre. Comme si elle n'était pas spécialement défaillante ici-même, sur le front de Verdun. »
S'ensuivit une désorganisation terrible dont Pétain hérita, en plus de chefs qui refusaient de suivre les « règles de prudence et d'expérience » qu'il rappelait. Ajoutons à cela que Joffre rechignait à envoyer une artillerie suffisante pour répondre à celle, nombreuse, des Allemands. La stratégie sacrificielle employée fut donc un carnage dans les rangs français : le général Nivelle, successeur de Pétain dans la défense de Verdun, multipliera lui aussi les offensives meurtrières.
À la rage combattante succède, chez les poilus, une « lassitude [qui] est telle qu'on en vient à considérer l'ennemi comme un adversaire qui partage le malheur d'être à la guerre ». Des fraternisations sont signalées çà et là. Ce qui fait enrager Pétain, qui exige qu'on y mette fin. Dans le même temps, les opinions publiques française et allemande ne veulent pas de paix négociée mais bel et bien une victoire, ce qui prolonge de fait la guerre.
Verdun, ce sont aussi des noms devenus tristement célèbres : le Mort-Homme, la côte 304, le fort de Vaux et surtout celui de Douaumont, pris par les Allemands en février – et repris par les Français seulement en octobre –, sur lequel viennent mourir nombre de soldats lors d'assauts meurtriers et voués à l'échec : « Il est clair que l'offensive [de mai] contre Douaumont ne pouvait réussir, faute de renforts : les rares divisions disponibles, qui, pour la plupart avaient été toutes dirigées sur la rive gauche, où le front risquait de craquer, où des reculs inévitables avaient été consentis. »
Le fort de Vaux aura, lui aussi, sa part d'horreurs, avec des combats autour et à l'intérieur, « dans la poussière et l'odeur de poudre ». Et malheur à qui se replie sans ordres : des officiers seront fusillés pour cela, tandis qu'ils essayaient juste de sauver leurs hommes d'un massacre annoncé !
L'état-major est à cran car il reste souvent sans nouvelles du front. Un front par ailleurs alimenté avec parcimonie en matériel, pour ne pas pénaliser l'offensive de la Somme à venir. Car : « La véritable réplique de Joffre à l'agression du Kronprinz à Verdun, c'est la bataille de la Somme. »
Côté blessés, c'est ça : « Des infirmiers chassent autour d'eux les rats avec des bâtons. Les morts sont entassés dans une grange. […] Certains restent deux jours entres les lignes de tranchées. […] Dans l'absence totale d'hygiène, les plaies s'infectaient, se gangrenaient et nul médicament ne permettait alors de lutter contre la gangrène, ni de soigner les gazés. » Ces blessés, ce sont des soldats qui viennent de toute la France et des colonies. Quant aux morts, certains serviront à…monter des tranchées !
Puis viendra le temps des leçons retenues : une meilleure et plus massive artillerie, une aviation qui jouera un rôle primordial, notamment dans l'offensive décisive d'octobre, à laquelle participeront, par ailleurs, courageusement les troupes coloniales.
Si, comme l'explique l'auteur, Verdun ne devait être définitivement hors de danger qu'en septembre 1918, l'offensive d'octobre n'en demeurerait pas moins une victoire : « Malgré les gaz asphyxiants et les lance-flammes, “ils” [les Allemands] n'étaient pas passés. » Mais « s'il y a bien eu, sur le terrain, une victoire française, elle en priorité celle des combattants ». Verdun symbolise donc le sacrifice des soldats, pas le génie militaire des généraux.
Conclusion : le récit de Pierre Miquel – clairsemé de cartes très détaillées des positions et combats qui permettent de mieux comprendre le déroulé de la bataille – réussit ce tour de force d'être d'une précision impeccable et de nous entraîner dans cette bataille tragiquement mythique grâce une narration extrêmement dynamique. Un livre incontournable.



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