Tonio, Italien envoyé par son village (non sans intéressement) aux États-Unis pour y faire fortune, se retrouve sur la mythique Ellis Island, centre de tri des milliers de candidats à l'immigration. Il est sur le point de se faire refouler pour son handicap physique (un pied bot) lorsqu'un "avocat" lui sauve la mise, au moins provisoirement, moyennant "quelques menus services". Pour ne pas avoir à subir la honte de rentrer au village la queue entre les jambes, il accepte, et l'on comprend bien vite qu'il a, dès lors, un pied – et le bon – dans la mafia.
J'ai choisi cette BD pour son thème, passionnant, qui fait vraiment remonter aux origines de l'El Dorado américain, et à la manière dont cette nation s'est construite autour de ce fameux melting pot, expérience unique au monde, au moins dans l'histoire récente.
Malheureusement, je ne suis pas entièrement convaincu du résultat.
Non que ce soit mauvais, car le cadre d'Ellis Island, géographique et historique, semble avoir été minutieusement reconstitué, le scénario est original et plutôt bien construit (même si je n'ai pas bien compris comment Giuseppe pouvait resurgir à la fin alors qu'il était censé avoir été refoulé, mais je suppose que le tome 2 apportera une explication), et le petit dossier documentaire en fin de volume apporte un éclairage supplémentaire plutôt bienvenu. Notamment, j'y ai découvert que les personnes refoulées étaient vraiment très minoritaires (de l'ordre de 2%), ce qu'il est intéressant de savoir car l'insistance portée par les artistes sur les scènes poignantes de refoulement (avec tout ce qu'elles avaient d'arbitraire et d'inhumain, rappelant même certaines heures sombres de notre histoire, comme dit l'autre) pourrait laisser penser à tort qu'ils étaient bien plus nombreux.
Pourtant, j'ai été gêné aux entournures par plusieurs choses d'ordre essentiellement technique.
Si le style du dessinateur est original et globalement réaliste, je ne suis pas complètement convaincu. Les couleurs sont souvent trop criardes, et par endroits, il demeure des lignes de détourage autour des personnages, formant des halos blancs limite fantomatiques qui ne font pas bon effet. Et puis, quelle idée de mettre un long tarbouif rougeaud à tous les personnages secondaires ? Comme c'était le cas de Cyrano de Bergerac, on a parfois tendance à ne voir que ça. "C'était pas une sinécure, de lui voir tout le temps le nez, au milieu de la figure." (
Georges Brassens.)
Autre point faible, les enchaînements narratifs. Sans vouloir singer un film de
Sergio Leone, il y a deux catégories de BD : celles qui glissent sans aucun frein, où l'on passe d'une case à l'autre sans la moindre difficulté, sans jamais être obligé de s'arrêter 10 secondes à se demander où est le rapport entre la case d'avant et la case d'après, et puis celles qui comportent des accrocs plus ou moins fréquents et profonds à cette sacrosainte fluidité, faisant buter la compréhension à chaque fois. Celle-ci fait, malheureusement, partie de la deuxième catégorie.
Un avis en mi-teinte donc, pour cette BD lue dans le cadre de la Masse Critique, pour laquelle je remercie Babelio et les éditions Bamboo.