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Critique de nilebeh


Rédigé en 1990 ce court roman est en quelque sorte le prologue de celui que Modiano écrira en 1997 sous le titre de « Dora Bruder », du nom d'une jeune fille juive de 15 ans, fugueuse, arrêtée, déportée à Auschwitz et qui va l'obséder longtemps.

Voyage de noces est un roman de la quête d'identité, où le narrateur Jean B., explorateur, baroudeur, organise sa disparition à l'occasion d'un prétendu voyage vers Rio de Janeiro. En fait, il prévoit de s'installer dans de multiples hôtels le long de la ceinture intérieure de Paris : Porte Dorée, Barbès-Rochechouart, Porte d'Italie, en privilégiant une sorte de port d'attache dans l'hôtel avoisinant l'ancien Musée des Colonies et le zoo de Vincennes. Et sa mémoire réveille des souvenirs anciens quand, de passage à Milan, il apprend la mort par suicide d'une Française nommée Ingrid Teyrsen qu'il a connue autrefois tandis qu'il faisait de l'auto-stop près de Saint-Raphaël. Il replonge dans l'année 42, Paris est occupé et sombre chaque soir vers 17 ou 18 heures dans l'obscurité du couvre-feu.

Invité par le couple Ingrid Teyrsen – Rigaug, il découvre une page de l'histoire : nous sommes sous l'Occupation en 1942, Ingrid s'est enfuie de la maison de son père, juif autrichien, elle n'a que seize ans mais son compagnon, Rigaud la prend en charge et les jeunes gens se déplacent, de son hôtel particulier rue de Tilsitt au sud de la France. Rafles, police, observateurs dangereux, couvre-feu quartier par quartier dans Paris, angoisse d'être pris et ce père juif autrichien qui se morfond dans son deux-pièces du boulevard Ornano et diffuse une annonce pour retrouver sa fille.

Les lieux et les temps se télescopent, l'écriture est irrespirable et l'angoisse sourd à tout moment. 1942 ou époque moderne, les personnages et le narrateur semblent à la recherche d'une construction de leur vie. Curieusement, le style de Modiano, quoique extrêmement précis et évocateur, laisse l'impression dérangeante d'un monde qui ne livre que des impressions, sombres et inquiétantes, une menace à peine voilée.

« Il arrive qu'un soir, à cause du regard attentif de quelqu'un, on éprouve le besoin de lui transmettre, non pas son expérience, mais tout simplement quelques-uns de ces détails disparates, reliés par un fil invisible qui menace de se rompre et qu'on appelle le cours d'une vie » (p. 119)

 Patrick Modiano — En consultant de vieux journaux, en décembre 1988, je suis tombé, dans le numéro du 31 décembre 1941 de Paris Soir, sur l'avis de recherche de Dora Bruder. Cet avis de recherche m'a profondément troublé. J'imaginais ces parents ayant perdu la trace de leur fille le dernier jour de l'année. Et je voyais bien l'endroit où ils habitaient, je connaissais le quartier : le cinéma Ornano 43, à côté du 41 boulevard Ornano. La station de métro Simplon. J'ai eu un pressentiment. J'ai consulté le Mémorial de la déportation des Juifs de France que Serge Klarsfeld a publié en 1978. J'ai retrouvé le nom Dora Bruder, dans la liste des noms du convoi n° 34, du 18 septembre 1942, parti de Drancy pour Auschwitz. Pas de date ni de lieu de naissance, en face de ce nom, comme pour les autres noms qui figuraient dans cette liste. le nom suivant était Bruder, Ernest, 21.05.99. Vienne. Apatride. J'ai retrouvé le nom Bruder, Cécile, dans la liste du convoi du 11 février 1943. Ce qui m'a bouleversé, ce sont ces deux disparitions successives de Dora Bruder : celle annoncée dans l'avis de recherche, et la dernière, neuf mois plus tard. Et ces parents et cette fille qui tombent chacun à leur tour dans le néant. (entretien avec P. Modiano, Gallimard, 1995)
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