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Critique de tristanledoux


L'argument serait le suivant : un nom s'affiche un peu partout dans un pays, la France, d'abord comme sujet de livres et de publications diverses, mais qui restent introuvables, puis sur des affiches placardées par on ne sait qui sur un nombre grandissant de murs, d'édifices publics et de troncs d'arbre, puis ce sont des tasses ou des stylos-billes qui s'introduisent dans certains commerces, tout cela à l'effigie de ce Francis Rissin que l'on se met à rechercher d'autant plus activement que personne ne sait de qui il s'agit, quel est son projet ou son mobile, ni quelle est son identité. S'agit-il d'un canular, d'une opération de com politique ? Nul ne sait, et c'est ainsi que se construit la notoriété fulgurante de ce personnage. Sa réalité, que personne n'a jamais pu constater, lui vient des recherches entreprises pour l'appréhender. Elles sont l'occasion, pour le narrateur, de sillonner en tous sens le territoire géographique où le mythe s'implante. Les noms de villages ou de hameaux se multiplient jusqu'à donner le vertige, mais cette toponymie pléthorique crée un espace imaginaire grâce à la seule puissance de désignation des lieux. le style de Mongin est le plus souvent celui du journalisme : correct, rapide, efficace, parfois vulgaire ou banal, sans recherche d'images particulières. Mais ce texte produit par là-même un autre effet, et son ironie affleure quand on prend conscience de sa ressemblance avec ce que Mallarmé appelait « l'universel reportage », càd le discours de l'information et de la communication. Parce qu'en effet le texte de « Francis Rissin » est saturé d'informations inutiles, de platitudes, même : c'est qu'il entend décrire le monde avec des mots exacts : mais décrire le monde avec les mots exacts, c'est aussi ne pas le « penser » (comme Heidegger le disait à propos du discours de la science).
Autre caractéristique passionnante de ce roman : l'efficacité du vide. Francis Rissin, en effet, représente une sorte de deus absconditus, de dieu qui se cache, comme chez Pascal. Il est grand et tout-puissant de ce qu'il n'est pas, n'existe pas, ne se montre que par effractions aussitôt disparues – bref tout ce qu'il faut pour susciter le fantasme, la projection et, en fin de compte, une adhésion inconditionnelle. Or dans toute composition, le rôle de la case vide, du blanc, du non-dit, du silence, etc., peut s'avérer essentiel. Il crée un espace dans lequel l'imaginaire du lecteur (ou du spectateur, s'il s'agit d'images, ou de l'auditeur, s'il s'agit de musique…) peut se déployer en toute liberté, avec une puissance de rétroaction décuplée sur ce même lecteur, spectateur ou auditeur. Mongin a inscrit ce principe comme moteur interne de sa fiction. C'est Henry James qui explique, dans un commentaire à propos de son « Tour d'écrou », qu'il s'agit de laisser le lecteur imaginer en quoi peut bien consister le mal qui ronge le domaine de Bly et dont les enfants (Miles et Flora) sont à la fois les proies et les complices. Il savait que le lecteur était celui qui disposait des meilleures ressources pour nourrir l'idée précise du mal dont l'auteur avait mis seulement le moule vide en place, et qu'il ne fallait surtout pas le remplir à sa place. C'est aussi le principe qui est à l'oeuvre dans une fresque de Fra Angelico, L'Annonciation, commentée par Georges Didi-Huberman dans « Devant l'image » : « Ce blanc frontal n'est rien de plus qu'une surface de contemplation, un écran de rêve - mais où tous les rêves seront possibles (...) Il est donc, aux sens multiples du mot, une surface d'expectative ». Au cinéma, ce pourrait être le hors-champ qui remplit ce rôle, quand il obsède le champ sans jamais y apparaître… Bref, c'est tout un art qui donne beaucoup à penser. Bravo Martin Mongin ! Je vais maintenant continuer à lire votre livre…
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