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Critique de Belem


Ce livre suscite en moi des sentiments contrastés. J'y trouve à la fois la défense d'idées (en biologie, en sciences, et en philosophie « tirée » des sciences naturelles) avec lesquelles je suis en accord, comme le matérialisme, et l'affirmation du rôle majeur du hasard dans l'évolution des espèces, mais pour autant, je trouve qu'il apporte une grande confusion à ces idées, que certaines affirmations de ce livre sont au mieux péremptoires, et au pire, malhonnêtes (et peut-être pire encore...)
Dans ce livre, tout d'abord, Jacques Monod propose de « lever » le paradoxe entre l'objectivité de la nature, qui est soumise au hasard et n'est donc gouvernée par aucune « finalité », et le fait, dit-il, que les organismes vivants soient dotés d'un « projet » : ce qu'il appelle la téléonomie. le problème, est que c'est lui-même qui crée la paradoxe en reprenant cette idée de téléonomie à son compte.
Bon. Soit. Il s'agissait à l'époque de mener un combat, et il s'agit peut-être d'une manière d'en discuter. Mais l'autre problème du livre, et c'est plutôt là que se situe le paradoxe, c'est que le combat à mener (et qu'il mène) était contre une vision trop mécaniste du « programme génétique » excluant le hasard, mais Monod se positionne justement comme un partisan de la vision mécaniste (contre une vision dialectique), et pourtant, il affirme avec force la place du hasard dans l'évolution ! Bien que son livre soit supposé éclaircir le rapport entre le hasard et la nécessité, pour moi, son propos y ajoute de la confusion !
Notons aussi que l'idée de « téléonomie » a complètement disparue du vocabulaire de l'évolution, car aucun organe ni aucune fonction ne nécessite d'explication de nature « téléonomique ». (Lamarck était sorti par la porte des premières tentatives d'explication de transformation des espèces, avec la téléonomie, il revenait en quelque sorte par la fenêtre...).
Par contre, sa manière de s'en prendre au raisonnement dialectique, est extrêmement malhonnête, je trouve : il attribue à Marx et Engels des choses qu'ils n'ont jamais écrites (en gros, « la finalité de l'évolution, c'était l'homme ») pour dire que « le matérialisme dialectique a failli ». Petit problème, Mr Monod : ni Marx ni Engels ne se sont jamais définis comme « matérialistes dialectiques ».
D'ailleurs, il avoue lui-même que cette appellation et ses développements ultérieurs sont le fait des « épigones », c'est-à-dire, le fait du stalinisme (qui, entre autres dégâts incommensurables, à fait du marxisme un dogme autoritaire), et puis, encore mieux, il dit même « qu'on peut trouver dans les écrits de Marx et Engels le contraire »... des propos qu'il leur prête !
Je m'interrogeais sur ces procédés et sur le pourquoi de la chose (d'ailleurs, peu argumentée) quand j'ai découvert que Jacques Monod avait été membre du PCF. Ah ! Un règlement de compte avec ses anciens camarades « matérialistes dialectiques » ? (voir page 59, où il a l'air d'avoir en travers de la gorge les propos de Mr Althusser « dans son sévère commentaire de ma leçon inaugurale au Collège de France » !) En tous cas, ce n'était pas la peine de jeter le bébé avec l'eau du bain...
Monod défend donc une conception matérialiste, mais mécaniste, « cartésienne ». « La cellule est une machine », dit-il. (Pour son collègue François Jacob, co-récipiendaire du Nobel, au contraire, le vivant fonctionne de manière dialectique... il y a dû avoir des discussions très animées entre eux !). Cela dit, dans tous ces passages où Monod se recentre sur le sujet de la biologie moléculaire (le rôle des enzymes, les rétro-actions, le rôle du hasard, etc.), là, ok, le livre est très intéressant (relativement aux connaissances de l'époque, et bien que la plupart des biologistes aujourd'hui y lisent bien un fonctionnement dialectique et non purement mécanique).
Mais attention, passé les deux tiers du livre, ça re-déconne !
Cela commence par une affirmation selon laquelle, pour les australopithèques (qu'à l'époque on appelle Australanthropes), le projet de tuer de grosses proies « aurait exigé l'emploi d'un langage » (p.170) Ah bon ? Les loups ou les lionnes nécessitent-ils et elles un langage pour chasser ? Non. (Bien qu'il s'en défende, c'est la conclusion logique de son histoire de téléonomie, au bout du compte, on en revient à Lamarck : la fonction crée l'organe ! )
Plus loin (p.206 à 209), attention, ça décoiffe, là on a carrément droit à des propos qui frisent l'eugénisme : il évoque « les dangers de dégradation génétique dans les sociétés modernes », il utilise le terme de « quotient d'intelligence », et cela, comme un caractère qui serait transmissible... (Ah ? Depuis quand l'intelligence serait-elle héréditaire ?) Il parle aussi de la sélection naturelle qui « défendait l'espèce contre la dégradation », et termine ce passage par une magnifique prédiction sur les manipulations du génome : « l'échelle microscopique du génome interdit pour l'instant et sans doute à jamais de telles manipulations ».
Pas mal pour un prix Nobel !
Bon, je préfère abréger. Dommage qu'un « essai sur la philosophie naturelle » se termine en telle eau de boudin...
En tous cas, j'ai compris avec ce livre pourquoi on parle peu de Monod dans les essais ultérieurs sur l'évolution ou sur les idées philosophiques que l'on peut tirer de l'histoire naturelle, et pourquoi les chercheurs préfèrent en général citer François Jacob quand il s'agit d'évoquer leur apport collectif (très important) à la biologie.
« Avec chaque niveau d'organisation, apparaissent des nouveautés, tant de propriétés que de logiques. (…) Une dialectique fait s'interpénétrer les contraires et s'engendrer la qualité et la quantité. »
François Jacob dans « La logique du vivant »
Ah... un peu de dialectique... ça va mieux !
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