Le voilier est un espace carcéral tant il impose à ceux qui y vivent une existence sociale ininterrompue, sans reste.
[...] en cherchant à faire disparaître les déchets, c’est comme si nous nous étions efforcés d’effacer les preuves tangibles de l’insoutenabilité de nos modes de vie et de production.
Tout au long du XXè siècle, en s'institutionnalisant comme "produit d'un abandon", le déchet a été exclu à la fois des centres de vie et, en même temps, du champ de la perception des jeteurs. p63
[...]
Le jeteur semble à même d'abandonner autant d'objets que d'éléments de son histoire intime, il renonce plus aisément à ses appartenances communautaires, religieuses ou politiques. p65
Autrement dit, en rattachant sphère publique et sphère privée, espace domestique et espace commun, cette politique des petits gestes s'inscrit donc tant comme un moyen pour redistribuer les responsabilités propres à l'action publique, au sein même de l'espace domestique, que comme un argument pour faire de l'action routinière un acte de socialisation.
Ce "marché mondial de 300 milliards d'euros"- au sein duquel le déchet ménager pèse pour 150 milliards d'euros alors qu'il ne représente que 4% de la masse totale des déchets produits-pourrait avant tout s'inscrire comme la réussite d'un "capitalisme vert". Loin d'aborder les déchets en termes de biens communs, les principaux groupes industriels privés de gestion et de traitement des déchets semblent être les grands "gagnants": au cœur de ces marchés désormais mondialisés de quelques grandes matières premières secondaires, l'industrie de la propreté et du déchet prospère en tirant profit de la promesse de réintégration de nos rebuts dans les circuits de production.
Si les déchets sont partout, s'ils constituent aujourd'hui des preuves irréfutables de l'impact des hommes sur l'équilibre des écosystèmes terrestres, ils demeurent les plus souvent invisibles à ceux qui les ont générés. [...] C'est comme si nous préférions rester aveugles à ces ombres incommodantes de la civilisation.
Pour autant, entre enjeux globaux et pratiques domestiques, un gouffre intermédiaire subsiste : " mettre l'accent sûr les petits gestes évacue aussi la question des grands choix." p97
Ce sont nos déchets qui éparpillés jusqu'aux confins du globe, sont devenus les marqueurs indubitables de cette période géologique où Homo sapiens s'est érigé en force géologique [l'anthropocène]. p14
En "bien jetant", l'usager tend à devenir un "éco-citoyen", libéré d'une certaine culpabilité qui a motivé son "bon geste" [...].
J'ai finalement retrouvé, aux quatre coins du monde, les traces d'une conception univoque d'un "problème des déchets": ils sont cela même contre quoi il faut lutter, ils sont cela même qu'il faut maîtriser, il faut, en somme, les faire disparaître.