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Critique de Henri-l-oiseleur


[Remarque du 21 octobre 2015]
Le livre III des Essais, à la différence des deux autres, comprend peu de chapitres, mais ils sont très longs, très sinueux et pleins de surprises, ramenant dans leurs filets tous les thèmes possibles dans un ensemble que seul "l'indiligent lecteur" croira hasardeux et mal construit. Chaque chapitre peut se lire comme un tout, et d'ailleurs, certains ont été édités à part pour l'école, comme "de la Vanité", "Des coches" ou "de l'expérience". C'est une lecture "au long cours", une lecture qui accompagne le lecteur de longues années durant, qui le transforme souvent, s'il le veut bien, mais qui le transforme en lui-même, si j'ose dire, bien loin de l'aliéner à des pensées qui ne seraient pas les siennes. Montaigne affirme, enseigne peu : il montre comment examiner les pensées toutes faites et comment s'en défaire par le doute et la critique. C'est une école, mais de liberté d'esprit, qu'ont suivie ses lecteurs du siècle suivant, que l'on appelait Libertins.

[Relecture de novembre 2022]
Il n'y a pas plus de fin à la relecture de Montaigne, qu'il n'y en avait à l'écriture des Essais. L'auteur signale ce point au début de son essai sur la Vanité : tout le papier et toute l'encre du monde ne suffiraient pas à noter les activités d'un esprit humain, qui est par nature infini et capable, comme un champ en friche, de produire d'innombrables mauvaises herbes. Dans ce livre III des Essais, l'auteur se libère définitivement des contraintes formelles que l'on sentait encore parfois dans les deux livres précédents : il adopte de manière définitive la forme ouverte, digressive et imitant les caprices de la conversation. Un sujet ne peut être traité, encore moins épuisé, selon la méthode de la concentration et de la limitation : il faut, dit-il, l'aborder de biais, de travers et de mille autres façons, pour le traiter vraiment. Ainsi, l'essai sur les vers de Virgile parle peu des vers de Virgile, mais suffisamment, car ils sont éclairés par les réflexions de toute une vie passée à lire de la poésie, et aussi par l'expérience de toute une vie amoureuse : on sait bien que l'amour et la poésie sont liés. C'est ainsi que dans l'essai sur les vers de Virgile, on trouvera d'audacieux propos sur la vie sexuelle de l'auteur et sur la manière dont la sexualité est considérée dans la France de la Renaissance. Nous, lecteurs, déciderons s'il est loin, ou près, de Virgile et de ses vers. de même, c'est à nous de déceler le rapport entre les coches et la chute des empires aztèque et inca.

Enfin, la forme ouverte permet à la prose de Montaigne de se déployer selon tous les registres de style et les types d'éloquence, car l'auteur ne se limite jamais, ne se spécialise jamais, à un seul ton, à un seul type de langage et d'exposition ('dispositio" dans la rhétorique ancienne). On prendra plaisir au charme profond que ce refus des formes universitaires procure au texte. A ce titre-là, Montaigne est à l'opposé des philosophes systématiques, dont le meilleur exemple pourrait être Spinoza qui écrit son Ethique "more geometrico", à la façon d'une démonstration mathématique. Montaigne se qualifie de "philosophe imprémédité et fortuit", dont les "fantaisies [idées] se suivent, mais parfois c'est de loin, et se regardent, mais d'une vue oblique". La forme ouverte nuit parfois à la clarté du propos, mais elle construit une relation solide entre le lecteur et l'auteur, une amitié par-delà les siècles avec le meilleur des écrivains français : "il met le lecteur quel qu'il soit dans cet esprit d'humanité sereine dans lequel Montaigne vivait et voulait être compris" (Hugo Friedrich).
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