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Critique de Philochard


Il s'en passe de belles sous les ors impériaux de Saint-Pétersbourg. Rumeurs d'empoisonnement, complots révolutionnaires et vol blasphématoire d'un oeuf de Fabergé ! Les cousins Clifford – le bel Alistair et les jumeaux Meredith et Benedict -, héros-détectives récurrents de Delphine Montariol déjà protagonistes des 'Premières armes', quittent leur verte Angleterre victorienne pour une enquête policière protéiforme qui immerge le lecteur dans la Russie de 1900. le titre du roman est d'ailleurs un adage de ce temps pas si ancien ; il est vrai que la personne du tsar Nicolas II attise les convoitises et les rancoeurs les plus délétères.
D. Montariol, dans un style tenu, à l'élégance un peu british, nous livre un roman assez chic et pointilleux, où se pressent le crépuscule d'un monde, annonciateur de cataclysmes qui viendront secouer le XXe siècle : Première Guerre mondiale et révolutions russes. Au fil des investigations policières et policées, la Russie du dernier Romanov est sérieusement documentée. le constant souci d'exactitude permet une intéressante mise en lumière des enjeux politiques, coulisses diplomatiques et autres roueries courtisanes régentant l'Europe de cette époque dite « Belle ». L'énumération des sources documentaires en fin d'ouvrage fait foi du gros travail de recherche et de compilation de la romancière.
La couverture me paraît assez bien résumer l'esprit du livre. Elle semble pourtant un peu hors sujet, et presque trop banale : le portrait impressionniste par Auguste Renoir de son coreligionnaire du pinceau Albert Cahen d'Anvers, bacchantes ostentatoires - fournies mais soignées -, posture assise presque nonchalante dans un fauteuil qu'on devine confortable, une main tenant un cigare, l'autre à demi-cachée dans la poche du pantalon. L'homme n'est visiblement pas hostile à un début d'aimable conversation mais une pensée nous le rend lointain ; il médite peut-être, son regard un peu vague semble absorbé dans une réflexion dont on ne sait si elle est futile ou profonde ; un mystère en soi, un faux-semblant, et l'on veut savoir…
Savoir, oui. Connaître la ou les vérités qui se cachent derrière le rôle officiel assigné à chaque personnage du roman, se pensent derrière chaque visage modelé par les impératifs du devoir patriotique, se trament derrière l'étiquette de la cour du tsar. Ce solide polar historique (m') apparait comme un roman d'intériorité : celle des palais impériaux et des lieux de rendez-vous secrets ; celle surtout de personnages qui réfléchissent, anticipent, planifient, se parlent beaucoup à eux-mêmes avant de le faire entre eux, avec les réflexes intellectuels et le langage inhérents à leur caste et à leur éducation. Cinématographiquement, le roman se rapprocherait assez d'une adaptation 70's des romans d'Agatha Christie, l'un de ces films où sir Peter Ustinov déambule, interroge et ausculte dans le rôle d'un Poirot à la fois obstiné et débonnaire. Une sorte d'élégance joliment désuète, une ambiance un peu feutrée… et le poignard qui peut surgir de n'importe où, n'importe quand, se planter dans n'importe qui. Bref, D. Montariol nous met en scène toute une atmosphère un brin dandy et vénéneuse.
Certes, de l'action il y en, 'of course' - et en pagaille 'pajalousta' (… et je dois avouer que la jeune et trépidante Meredith m'a parfois fait penser à une Tintin féminine au pays des futurs Soviets) -, avec sa kyrielle de tueurs implacables, ses descentes musclées de l'Okhrana, et les explosions, coups de force, de feu, de poing, de théâtre (Mariinsky, il va sans dire...) - wip, paf, crap, bang, vlop ! - qui vont naturellement avec. Cependant, on est frappé par l'absence initiale de crime sanguinolent ou autre situation gore. Rien qu'un vol, celui d'un oeuf – et fût-il de Fabergé, on se dit de prime abord que l'affaire ne casserait pas trois pattes à un canard de Moscou blanc et que le petit Nicolas ferait mieux de se soucier de son peuple en tendant l'oreille à d'autres échos plus urgents, ceux des revendications de progrès social – mais voler cet oeuf équivaut à voler un boeuf, celui de la prestigieuse et multiséculaire puissance autocratique russe ; un vol hautement scandaleux dans un contexte international tendu, sombre affaire saupoudrée de sales rumeurs et de complots idéologiques… Les investigations se multiplient, tout se croise et s'enchaîne. Jusqu'à la résolution flegmatique finale.
Mais, justice rendue et livre refermé, à mon tour affalé dans un fauteuil, une idée me traverse lentement l'esprit, l'infusant à la manière d'un thé Darjeeling : dans cette enquête 'apparently' sans corps assassiné au début, le cadavre nécessaire à tout bon polar qui se respecte et sur lequel il faut bien se pencher pour justifier un commencement d'enquête ne serait-il pas, tout compte fait, celui de la vieille et sainte Russie monarchique ? Ce corps socio-politique encore sanglé et parfumé, courtois et perclus de rites, déjà putrescent sous les coups (assassins ?) répétés d'un monde nouveau et impitoyable en train d'éclore...
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