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Critique de oiseaulire


"Pitié pour les femmes" est le second volume de la quadrilogie De Montherlant et a peine à égaler "les jeunes filles" : il se traîne derrière, poussif, ayant recours (par dérision, il faut le supposer), à un stratagème de théâtre de boulevard : Costals installe Solange dans le colombier qui surplombe sa garçonnière afin qu'elle assiste en cachette à son entretien avec Andrée Hacquebaut qu'il maltraite et humilie. Une bien jolie fille, cette Solange, et dont il est en train de tomber amoureux. Si douce, si passive qu'elle en semble un peu bête et qu'il considère comme de la pâte à modeler. N'empêche qu'il est près de lui offrir le mariage : d'où la nécessité de lui infliger à elle aussi une petite leçon : d'une pierre deux coups.

Après le départ de la malheureuse Andrée, il assène à la jeune oie descendue du colombier des considération qui font craindre pour son état mental : notre écrivain à la mode se prend pour Dieu, ni plus ni moins, et cela a sa cohérence puisque Montherlant professe (sincèrement ou pas) que le Dieu de la femme est l'homme. Et le Dieu des jansénistes (ce volume baigne comme le premier dans le jansénisme) accorde sa grâce à qui il veut, sans considération des mérites. Costals fait comme le Dieu de Pascal : il accorde ses faveurs à qui lui plaît sans considération des mérites ou démérites.

Voici :

"Je vous ai montré cela pour vous montrer ce qui arrive à ce que je n'aime pas. Voilà une fille qui est sortie de rien, qui s'est élevée toute seule, dans les pires conditions, qui est cultivée, sensible, intelligente, pleine de génie, et qui m'aime depuis cinq ans. Si on met en balance ses mérites à mon égard, et les vôtres, les vôtres sont nuls. Seulement je ne l'aime pas. Je ne lui ai jamais rien donné, jamais donné un baiser, jamais tenu la main. Parce que je ne l'aime pas. Vous cependant vous paraissez, vous me plaisez : je vous donne tout. Mon intelligence, ma tendresse, ma force sexuelle, mon intelligence. Souvenez-vous de cela, si un jour vous avez à vous plaindre de moi, et sûrement ce jour viendra. Vous avez tout eu sans raison. Aucune raison pour que je vous ai tout donné, à vous plutôt qu'à d'autres, aucune raison pour cette préférence et cette partialité."

On qualifierait aujourd'hui l'homme qui dévalorise à la fois celles qu'il n'aime pas et celles qu'il aime, en leur niant toute valeur et en les rabaissant systématiquement, un pervers. Et Costals, si l'on quitte un instant la parabole janséniste de l'octroi de la grâce, est un grand pervers.

Montherlant lève le voile sur le mécanisme hideux par lequel la contrainte sociale façonne les individus : en transformant les femmes en chiffes molles, adulant sans réserve qui se présente et prêtes au veule sacrifice de leur personne pour attraper la queue du Mickey à la fête foraine ; les hommes, en clownesques paltoquets usant sans scrupules, sans coeur et sans modération de la toute-puissance qui leur est conférée dans une farce où se dévoilent des usages barbares de domination à peine occultés d'un mince vernis.

Beau portrait de l'humanité femelle et mâle : des agnelles et des loups, des souris et des chats, des victimes et des bourreaux. Inégalité structurelle des rapports de pouvoir.

Cette "comédie humaine" devait être le fait d'un grand misanthrope (ou d'un grand tourmenté). Cela donne envie de connaître mieux l'auteur qui a pu proposer un univers aussi noir et qui met d'autant plus mal à l'aise qu'il est difficile de le répudier : sous une mince couche de sable, les pavés, et on oublie de regarder la mer.

Le style est toujours exquis, mais pour Montherlant, cette observation est superflue.

Pour finir, je ne vais pas priver mon commentaire de deux citations enchanteresses :

"Il y a trois sourires qui en quelque chose se ressemblent : celui des morts, celui des femmes heureuses, et celui des bêtes décapitées."

et...

"Il la contempla un instant, ainsi, attentivement. Il essayait de la différencier. de voir en quoi elle était autre chose qu'un corps. Autre chose qu'un moyen de son art de caresser. Autre chose qu'un miroir où il s'était regardé jouir."

Tchin !

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