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Critique de Krissie78


D'Alan Moore je ne connaissais que « V pour Vendetta » via le cinéma. Mais lorsque est paru « Jérusalem » une seule critique m'a convaincue que je ne pouvais passer à côté de ce livre. Il m'en aura fallu des semaines pour en arriver à la dernière page. Pas par manque d'intérêt, plutôt parce qu'il est si dense, si déroutant que j'avais besoin de le poser de temps en temps pour absorber les chapitres lus, partir explorer les références, parce que j'avais besoin de plages de lectures suffisamment longues pour lire sans être interrompue et ce sont souvent les périodes de vacances qui m'offraient ces instants. A chaque fois je me plongeais avec gourmandise, curiosité, appétit, envie dans de nouveaux chapitres, sans rien avoir oublié de ce que j'avais lu des semaines plus tôt.
Comment parler de ce monument sur lequel tout a été dit.

Il y a les chiffres qui font peur : 1278 pages, 10 ans d'écriture, 1 an de traduction, des références multiples (historiques, littéraires, cinématographiques, artistiques, théâtrales, politiques, économiques, religieuses, philosophiques). Il y a de quoi en rebuter plus d'un.
Le livre est découpé en 3 parties de 11 chapitres chacune, plus un prélude et un postlude. 35 épisodes, tous différents, pour raconter l'histoire d'une ville, Northampton, la ville de l'auteur, celle d'une famille, les Warren-Vernall, mais surtout l'histoire d'un quartier : le Boroughs, là où de tout temps ont vécu les défavorisés, là où l'auteur a vécu son enfance au milieu du monde ouvrier. Avec une écriture lyrique, baroque (ou bien doit-on dire gothique), Alan Moore ne rend pas seulement hommage à sa ville mais surtout à ce peuple méprisé de tous à toutes les époques, le transformant en super-héros du quotidien, sachant que rien ni personne n'est tout blanc ou tout noir. Utilisant tous les styles, de l'écriture la plus classique à la plus expérimentale (my God ! ce chapitre « Battre la campagne » » !), du théâtre shakespearien au fantastique, de la parodie au fantastique, etc., il donne corps et âme à une cohorte de personnages attachants pour la plupart, répugnants pour certains.

Le plus surprenant est que tous ces styles, toutes ces références pourraient être en dissonance. Mais le génie d'Alan Moore (je n'hésite pas sur le terme) fait de cette somme de connaissances et de ce récit qui bascule constamment entre réalisme et onirisme, un roman d'une merveilleuse cohérence, chaque détail prenant sens à un moment où un autre de l'histoire. Et puis il y la le talent de dessinateur de Moore qui offre des descriptions sublimes (les fresques De Saint, les démons, les plafonds, la partie de billard, les rues de Northampton…).

Avec « Jérusalem » Alan Moore pose la question de ce qui se passe après la mort. En plaçant Northampton au centre de l'Angleterre, en faisant tous ces liens, il illustre une théorie de l'Eternalisme selon laquelle les évènements ne se succèdent pas mais coexistent. Ainsi ce que chacun est de son vivant il le reste pour l'éternité. Ce faisant Alan Moore bouscule nos sens, nos repères, nous forcent à voir les choses sous de nombreux angles et nous emporte dans son univers fantastique.

Un dernier mot pour saluer le remarquable travail de traduction de Christophe Claro. Réussir à retranscrire ce qui fait le style de chaque chapitre est un travail incroyable et on comprend qu'il ait demandé tant de mois.

Je pourrais encore parler longtemps de ce travail d'orfèvre, des qualités littéraires, des visions psychédéliques, des savoirs multiples développés, de ce puzzle qui prend forme et se déforme, mais je conclurai en disant que pour moi ce livre est un monument, et clairement l'un des 6 que j'emporterais sur mon ile déserte.
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