En quoi les mariages de raison étaient-ils si mal? Au moins, la froideur était présente dans le couple dès le début, plutôt que de grandir lentement, désagréablement, dans le cœur des deux amants.
On avait demandé à ma grand-mère, le jour de son quatre-vingt-dixième anniversaire, quel conseil elle donnerait à des jeunes, vu qu'elle était à la fin de sa vie. Elle avait commencé par plisser le front et par répondre d'une voix désagréable, comme si elle n'avait pas entendu : "Quoi?" Elle essayait de gagner du temps. Quand on lui avait répété la question, elle avait observé toute sa famille autour d'elle, ses enfants et ses petits-enfants, et dit d'une voix forte : "Ne vous mariez jamais !" Nous étions ahuris. C'était comme si elle avait dit : "Visez à la tête!" Comme si elle avait dit : "Si vous ne tirez pas pour tuer, ils reviendront." Je pensais autrefois que ces histoires romantiques qui se terminent par un mariage avaient tout faux car elles éludaient la partie la plus intéressante. Mais, maintenant, je comprenais qu'en réalité, le mariage marquait la fin. La fin de la comédie. C'est comme ça qu'on savait que c'était une comédie. La fin de la comédie marquait le début de la tragédie. (pages 359-360)
Les cours ne débutaient pas avant la semaine suivante, mais je sentais le semestre remonté à bloc et prêt à tirer comme une kalachnikov. Le semestre du printemps, à la fois bien et mal nommé. Tant qu'il n'avait pas commencé, je dormais jusqu'à midi, puis me levais et me préparais une sorte de pitoyable baklava du pauvre : un grand biscuit de blé complet sur lequel je versais du miel et des cacahuètes écrasées. La cuisine était toujours à l'abandon. De nouvelles fraises avaient moisi dans le réfrigérateur, alors que j'avais l'impression de les avoir tout juste achetées. Cette fois, elles arboraient le gris turquoise d'un toit cuivré. Le pain lui aussi était poudré d'une moisissure bleutée qui aurait fait une ravissante ombre à paupière pour choriste - mais une choriste ayant besoin de pénicilline. Un quignon resté plusieurs semaines dans un sac en plastique semblait contenir un serpent de moisissure aux taches orange et noire : le musée d’Art moderne des Filles fauchées.
Je ne prendrais jamais le nom d'un homme. Je le savais au plus profond de moi-même, même si je soupçonnais les femmes qui l'acceptaient de posséder un savoir sur le mariage que je n'avais pas. Moi, je ne permettrais même pas à un homme de prendre le volant. (page 276)
- Il y a des années, j'ai entendu parler d'une famille qui avait adopté un enfant afro-américain. Lorsqu'il a eu treize ans, ils ont installé un système d'alarme pour qu'il se sente en sécurité quand ils sortaient. Le système envoyait un appel à la police au moindre geste, même un mouvement à la fenêtre, et évidemment, que s'est-il passé? Un soir où les parents étaient à une fête, peu avant Noël, la police a surgi et, voyant un jeune Noir au milieu de la pièce, ils lui ont tiré dans la poitrine.
C'est étrange comme, quand on prend de l'âge, ce sont les jeunes qui vous aprennent des choses. De jeunes gens qui semblent en savoir beaucoup plus long que vous. On finit par se dire, comme un scientifique, Mon Dieu voici la preuve de l'évolution.
Je ne m'ennuyais pas. Il y avait quelques petits moments agréables, comme envoyés par un dieu un peu fantaisiste. Un matin, une dame dans la queue paya le café du type derrière elle, qui paya celui du client devant lui. Puis le type paya celui de la dame derrière et ça continua ainsi pendant au moins quarante-cinq minutes, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de clients ni de queue - mais tant qu'elle dura, ce fut un moment magique. (page 353)
Les gens mouraient, mais si on arrivait à oublier qu'ils étaient morts, même un instant, ils gagnaient une sorte d'immortalité. Ils continuaient à vivre, même morts.
Le pardon des enfants est une grâce du ciel.