AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Presence


Ce tome contient The Courtyard, ainsi que les 4 épisodes de la minisérie Neonomicon.

The Courtyard (2003, 66 pages, histoire d'Alan Moore, transposition en scénario d'Antony Johnston, illustrations de Jacen Burrows) - Aldo Sax semble absorbé dans ses pensées, dans sa chambre d'hôtel minable. Il est un excellent agent du FBI. Il enquête sur une série de meurtres avec mutilations qui ne semblent connectés que par le type de mutilations. Les indices l'ont conduit à établir un lien avec un club newyorkais (Club Zothique), dans un quartier appelé Red Hook, où se produit un groupe de rock Uthar Cats. Sa chambre se trouve dans une pension minable. Sa voisine est une schizophrénique, la salle de bains est commune aux locataires et souvent souillée par des déjections.

Cette première partie est un peu particulière puisqu'il s'agit à l'origine d'un récit en prose écrit par Alan Moore en 1994. Il a été adapté en scénario par Antony Johnston. Cette transposition donne sa forme à la narration qui s'effectue à 90% par des textes de pensées d'Aldo Sax. le narrateur présente donc la vue subjective du personnage principale et les découvertes qu'il effectue avec son ressenti. L'histoire en elle-même est classique et elle vaut donc plutôt pour son ambiance. Il s'agit d'un hommage à Howard Philips Lovecraft par un auteur maîtrisant parfaitement sa mythologie.

Initialement cette histoire est parue en 2 parties, et le lecteur a l'impression que le choix de la mise en page a été dicté par la volonté d'avoir le plus de pages possible. Plutôt que de délayer le récit, il a échu au dessinateur d'utiliser une composition immuable de 2 cases verticales de la hauteur de la page, à chaque page. À la lecture, Jacen Burrows transforme cette obligation contraignante en un atout qui complémente le rythme donné par les textes de pensées. En outre, Burrows tire le meilleur parti possible de ces cases allongées, avec des compositions intelligentes et pertinentes pour chaque case, qui en utilise toute la hauteur.

Neonomicon (2010/2011, scénario d'Alan Moore, illustrations de Jacen Burrows) - Quelques mois plus tard, Gordon Lamper et Merril Brears (2 agents du FBI) reprennent l'enquête d'Aldo Sax. Ils commencent par lui rendre visite dans l'asile où il est interné. Il ne s'exprime plus que dans un pseudo langage incompréhensible. Ils n'ont d'autre choix que de retourner à New York, reprendre contact avec Pearlman, leur chef, et retrouver la trace de Johnny Carcosa, le mystérieux contact d'Aldo Sax, qui fréquente le Club Zothique.

Il s'agit cette fois-ci d'une histoire originale écrite directement pour le format comics, initialement parue sous la forme d'une minisérie en 4 épisodes, que Moore déclare avoir écrite uniquement pour payer ses impôts. Son intention était d'écrire une histoire en hommage à Lovecraft, tout en y introduisant son point de vue, et en rendant explicite le racisme et la sexualité dégénérée sous jacents.

Cette histoire est certainement l'une des plus simples à lire qu'Alan Moore ait écrites depuis longtemps. le récit est linéaire, les personnages sont faciles à saisir, l'intrigue avance vers une résolution satisfaisante. Si vous connaissez les récits de HP Lovecraft, vous ne serez pas surpris par l'utilisation qu'y en est faite, et vous constaterez avec plaisir qu'Alan Moore les connaît sur les bouts de doigts, y compris les liens avec les inventions de Clark Ashton Smith ou de Arthur Machen. Sinon, vous serez peut être un peu déçu par cette mythologie banalisée par des dizaines d'autres auteurs. Toutefois, Moore ajoute une autre couche, pour le coup entièrement personnelle, sur la mythologie de Cthulhu qui fait écho à la conception du temps de Jon Osterman. Enfin il tient sa promesse de rendre plus explicite les sous-entendus des récits de Lovecraft et d'écrire de vrais morceaux d'horreur et de terreur.

Jacen Burrows a donc la lourde tâche de dessiner l'indicible et les horreurs innommables. Il doit donner une forme à ce que Lovecraft laissait à l'imagination du lecteur. Il utilise un style clair, avec des délimitations de contours, pour les objets comme pour les individus, effectuées avec un trait fin sans variation d'épaisseur. Il s'agit d'un dessinateur appliqué qui ne sacrifie pas les décors. le lecteur se sent donc pleinement présent dans chaque scène, dans des lieux concrets et plausibles. Il a adopté pour la minisérie une mise en page de 4 cases superposées, de la largeur de la page (avec de rares variations sur cette trame). Là encore Burrows emploie des cadrages qui utilisent toute la largeur de chaque case ; il n'y pas simplement 2 têtes en train de parler à chaque extrémité de la case, et un vague fond coloré en guise de remplissages. Il s'avère un peu moins convaincant pour les personnages qui sont souvent anémiés, avec des expressions faciales pas toujours justes. Malgré tout cette approche prosaïque de la représentation de l'histoire fonctionne très bien et les parties horrifiques dégagent un vrai malaise qui force le lecteur à sortir de son confort de voyeur complaisant (effectivement Moore n'y a encore pas été avec le dos de la cuillère pour un personnage féminin). Cet aspect graphique des atrocités et de la sexualité destine cet ouvrage à un public mature. La mise en couleurs de Juanmar intensifie judicieusement les ambiances et les textures, tout en restant discrète.

Ce tome se révèle une lecture facile et simple, à de rares occasions à la limite de l'insipide quand l'hommage à Howard Philips Lovecraft se rapproche trop de l'original, avec des illustrations et une mise en page entièrement au service de l'histoire, avec une application qui leur permet de dépasser la simple fonctionnalité pour acquérir un début de personnalité. Dans les 2 ou 3 scènes dans lesquelles Alan Moore s'éloigne des écrits de Lovecraft, le récit acquiert tout de suite plus de substance et de saveur. Il s'agit donc d'un très bel hommage à Lovecraft avec quelques morceaux plus consistants et plus originaux que le matériau de d'origine. Alan Moore a à nouveau pioché dans la mythologie lovecraftienne pour Coeur de glace.
Commenter  J’apprécie          80



Ont apprécié cette critique (8)voir plus




{* *}