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Critique de LeCombatOculaire


Marcel Moreau commence par parler d'ordure, du traitement de l'ordure, selon les pays, la culture, les moyens, le niveau de développement industriel/économique, et ce que ça dit, ce que ça reflète de l'humanité. Lui-même, jetant un oeil autour de lui, voyant sa propre ordure s'amonceler, peut-être pour finir par l'engloutir tout à fait, tel Beffroi, personnage fictif venu à lui alors même qu'il se trouvait à vomir dans une décharge. le ton est donné. Il sera question de ce qu'il y a de plus ordurier.

Il y a aussi un contexte particulier, puisqu'on se retrouve propulsé.e en mai 1968, à Paris, entre les éboueurs et les étudiants, tentant de s'accorder contre les "fliques", en une entité unie et solidaire : le peuple en devenir et le personnel indispensable contre ceux qui sont clairement décrits comme presque l'armée nazie. Et pourtant, tous ridiculisés ici. La ville entière, ridiculisée. Dans sa platitude, son acceptation de l'inacceptable, son manque de fougue même dans ce qui est pourtant une des manifestations les plus remémorées, dans son ordure, ordure, ordure, dans ses costumes bien proprets qui cachent des pratiques contestables et détestables, dans sa culture du chiffre et du fichage, dans les ordures contre les ordures. Et tout le monde en prend pour son grade, Moreau lui-même en tant que personnage et auteur.

J'ai trouvé comme une ressemblance, d'abord légère, avec Les machines infernales du docteur Hoffman de Angela Carter, plus prononcée avec William S. Burroughs (Le festin nu, La cité écarlate) : quelque chose de franchement dérangeant, obscène même, furieusement organique, cauchemardesque, dégoulinant de partout de cette ORDURE dont Moreau tire la première partie de son livre, l'ordure des tréfonds de l'(in)humanité, viscérale, tripale, sexuelle, anale, le tout en un rythme qui défait les règles de l'écriture, un rythme endiablé. Parce que si Beffroi se trouve à dos de Dieu, vraiment à dos, alors c'est qu'il est forcément son contraire, son opposé, le diable lui-même, prenant possession de l'humain pour tout détruire. Beffroi comme un personnage archétypal, une entité démoniaque, qui fait perdre toute raison. Beffroi comme une mauvaise beuverie, quelque chose qui a mal tourné, comme une gueule de bois volcanique, comme un parasite qui dévore de l'intérieur, une hallucination destructrice.

Adieu subtilité, DONC, du langage et de la philosophie, adieu belles tournures de phrases, bonjour violence gratuite et démesure. Bonjour chaos. Sensibilité s'abstenir. Dans La Violencelliste, il était déjà question de rythme, de quelque chose de viscéral et de charnel, mais ô combien incomparable avec ce livre sans retenue ni limite. Welcome to the Dark Side of Moreau. Je ne le cache pas, parfois c'était beaucoup trop pour moi - c'était le but, je pense. Aller trop loin, aller là où ça n'est pas acceptable, plonger tout entier dans l'ordure et l'impensable. Ne se contenter ni du peu ni du pas assez, dénoncer l'ordure par encore plus d'ordure. L'écriture impeccable et travaillée de Moreau devient ici locomotive incontrôlable, délaissant petit à petit structure, règles, attention millimétrée aux mots, ici déconstruits et reconstruits pour mieux leur donner direction et sens : tout droit, plus loin. de quoi faire cracher les psychanalystes. Bref, comme dirait José Maria dans le film le jour de la bête, c'est... PUISSANT.

Si vous n'avez encore jamais lu aucun livre de Marcel Moreau, je ne vous conseille pas de commencer par celui-ci, peut-être trop radical et un peu en marge du reste, bien que les thématiques soient souvent les mêmes, en filigrane. Néanmoins, si la violence, pure, gratuite, poussée à l'extrême, ne vous dérange pas, il y a ici quelque chose de magistral dans le traitement, une maîtrise et un rythme, même dans la cacophonie la plus totale. Et c'est ce sens du rythme, de la prose et même finalement de la poésie, de l'invention de mot, c'est cette INDOCILITÉ grandiose qui vient inaugurer la nouvelle collection si bien nommée « Les Indociles » des éditions Quidam, que je remercie encore une fois. Et si vous voulez une mise en bouche, avant de n'en plus avoir, je vous conseille de commencer, pourquoi pas, par Chaos de Matthieu Brosseau.
Lien : https://lecombatoculaire.blo..
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