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Critique de Lucilou


Le matraquage promotionnel qui avait entouré la sortie de cet "Age d'Or" m'avait un peu rebutée, je dois l'avouer. Pas assez cependant pour résister à l'attrait du résumé, de l'histoire, à celui de sa très belle couverture et de son épaisseur. Comme j'ai bien fait!

Disons-le tout net: "L'âge d'or" est une petite merveille. Un ouvrage somptueux. Il y a bien entendu derrière ce petit miracle tout le travail des éditions Dupuis mais surtout les talents conjugués de Roxanne Moreil et de Cyril Pedrosa. le récit est passionnant, intelligent et bien mené, les dessins sont à la fois riches, précis et oniriques et les couleurs, enfin, se déploient dans un chatoiement à vous couper le souffle. Avec "l'âge d'or", on tient entre ses mains un fragment de beauté pure à mi-chemin entre les très riches heures du duc de Berry et les oeuvres psychédéliques d'Alton Kelley et de Rick Griffin. Oui, oui.

L'oeuvre pourrait se contenter de sa seule beauté, mais ce serait mal connaître ses auteurs et préjuger de leur virtuosité: comme la princesse moderne des contes de fées nouveaux, cette bande dessinée est aussi profonde que gracieuse.

L'histoire emprunte beaucoup à l'univers médiéval que ce soit dans son cadre, ses décors, son inspiration de chanson de geste ainsi qu'à la fantasy dont elle fait sienne quelques codes: l'initiation du personnage principal lancé dans une quête mystérieuse, les comparses présents pour ce dernier, la trahison, les doutes... Cependant, et c'est là le sel (ou la cerise) qui transforme ce qui pourrait être une oeuvre banale en ouvrage d'exception, Moreil et Pedrosa renversent joyeusement et sans cérémonie certaines conventions du genre pour donner un souffle unique à leur création: le héros est une héroïne sans prince et sans dragon, résolument féministe tandis que la geste féodale se mût en conte social et en un plaidoyer poignant pour l'égalité. Ecrit de cette manière, j'entends bien ce que cette phrase peut faire craindre d'un propos moralisateur et sans subtilité, mais c'est sans compter sans la puissance romanesque, la verve et l'intensité du récit.

Il y avait, il y a très, très longtemps donc, à une époque qui ressemble fort au XV°siècle, un royaume qui semblait vivre en paix mais dont les habitants mourraient de faim autant que de peur. le vieux roi, qui n'était, semble t-il, plus que l'ombre de lui-même, meurt et laisse son trône et le pouvoir entre les mains de sa fille aînée: Tilda. Cette dernière est une jeune femme intelligente qui est bien décidée à mener à bien les réformes qui rendraient pain et dignité à ses sujets. A la veille de son couronnement, elle retrouve ses amis fidèles, injustement disgraciés. Il y a là le seigneur Tankred et Bertil son jeune protégé. Tilda espère pouvoir compter sur leur soutien et dans cette cour venimeuse, véritable chausse-trappe, sur leur amitié.
La princesse n'a pas le temps de ceindre sa couronne que son petit frère, secondé par leur mère et l'inquiétant Loys de Vaudémont, lui ravit le pouvoir et la condamne à l'exil. Heureusement, Tankred et Bertil veillent et ils parviennent à la délivrer de ses geôliers au prix de terribles blessures. S'ensuit alors pour les trois fugitifs une fuite éperdue à travers le royaume, poursuivis qu'ils sont par la vindicte royale et sans nul refuge. Il y a bien un seigneur qui serait resté fidèle à la princesse, mais son domaine est si loin et puis, la révolte gronde...
Le chemin des trois compagnons pour tortueux qu'il sera, est aussi riche que trépidant et mystérieux. Il pose des questions tant sur le passé des personnages que d'ordre plus... philosophiques sur le pouvoir, la liberté et la trahison. Shakespeare, parfois, n'est pas loin dans ce récit de Moyen-Age d'une actualité sans failles dont les couleurs peinent à dissimuler la noirceur.

Vous plonger dans cette chanson de geste unique, c'est vous jeter dans une histoire prenante qui vous happera sans condition et qui vous hantera. Qui vous tourmentera par sa beauté et sa noirceur, son mystère et beaucoup de questions.
Qui sont vraiment ces femmes qui vivent en communauté au coeur de la forêt? Quel est ce manuscrit mystérieux et jailli du passé qui promet tant de choses aux humbles? Pourquoi Tankred aussi bon Soit-il semble si attaché aux conventions parfois révoltantes qui régissent son monde? Quel est le désir secret de la reine-mère? Et ce trésor qui a peut-être corrompu l'esprit du roi défunt, quelle est sa vraie nature? Que veulent vraiment Frida et Hellier le tabellion? Quel prix un homme est t-il prêt à payer pour sa liberté? Pourquoi ces cauchemars pour Tilda, tourmentée parfois au point d'en perdre son ardeur? Et Bertil...? Quel est son véritable destin?

La dernière page de "L'âge d'or" est un supplice et se faire narguer par cet insolent "à suivre" engendre une saine colère de lecteur et surtout une intense frustration, à la hauteur du plaisir et de la passion procurés par les 227 pages précédentes.

Vivement la suite.
Qu'elle nous vienne vite, mais pas trop non plus. Qu'on en savoure aussi l'attente, parce qu'après... L'histoire sera finie et parce que j'ai peur d'elle aussi et de ce qu'elle fera subir aux personnages.





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