Gabriel Morange était encore sous le choc de sa première rencontre avec la mer, quelques heures auparavant, mais il ne l’avait encore jamais réellement pratiquée. Il se découvrit une peur panique de l’eau, de l’insondable profondeur juste au-dessous de lui, et, par la même occasion, il connut les effets morbides de la houle, passant toute la nuit plié contre le bastingage à engraisser les poissons de la Méditerranée. Et c’était sans compter les inquiétants craquements de la coque, le bruit assourdissant des moteurs, leur odeur d’huile surchauffée et les relents de pisse et de vomissures. Pour ajouter à ce cauchemar éveillé, un violent orage s’invita durant la traversée. Son grondement, presque animal, faisait vaciller les lampes-tempête sur le pont, et ses griffures d’argent écorchaient le ciel, tuant par instants les ténèbres d’une lumière aveuglante. Morange était terrifié et en proie à une nausée abominable.
Ce maudit animal est leur seul amour ici-bas.
Il se rappelle très bien son geste, foudroyant ,incontrôlable. Le long couteau qui s'enfonce dans la chair chaude. Et le sang bouillonnant qui en jaillit. Il le recueille dans un grand bol. Et il dépece Guillaume, comme dans un rêve.
Le père qui flaire alors l’embrouille, qui se met à renifler comme un chien dans son assiette, qui se lève d’un bond, se précipite dans la cuisine, y découvre le lapin, intact. Revient en furie dans le petit salon.
— Qu’est-ce que tu nous as fait bouffer ? hurle-t‑il en brandissant la dépouille.
Sa mère qui s’étrangle :
— Guillaume ! appelle-t‑elle d’instinct. Où est passé Guillaume ?
Il arracha ses vêtements, devenus insupportables, puis ceux d’Onawa, dévoilant son corps qui brillait dans l’obscurité comme un lac de montagne sous la lune. Il alla engloutir son visage entre ses seins brûlants, puis il remonta vers ses aisselles qu’il inspira fiévreusement. Il plongea ensuite entre ses cuisses, là où la matrice avait le goût salé des embruns marins. Il but ses sucs à pleines gorgées.
Les grands bonheurs étaient faits de petites choses, anodines, mais qui mises bout à bout en constituaient la substance même. Comme ces événements, souvent insignifiants, qui formaient patiemment l'ossature d'une vie et, ensemble, lui donnaient de la chair, toute son épaisseur, la bienveillance texture qui possédait le don de, parfois, rendre les gens heureux.
« Au combat, la mort est parfois inévitable. Mais elle est toujours inutile. Pour Apache, il n’est pas de bon moment pour mourir. La vie est le bien le plus précieux que nous ait confié la Terre mère et il nous faut la préserver pour tous les moyens. »
Gabriel passa très vite pour un héros. Mais dans son esprit, il n'en était pas un. Pour ne pas décevoir, il laissa dire, mais il ne savait même pas ce que c'était vraiment un héros. Peut-être qu'être un héros, c'était aller au bout de ses convictions, quel qu'en soit le prix à payer.
Le navire traçait tout droit son sillon d'écume dans l'eau noire, quand la nouvelle se répandit. On arrivait enfin.
Les fous ne font que voir le monde comme ça les arrange, et leurs rires malades se moquent bien de nos pleurs.
En agissant de la sorte, on ne fait qu'enfoncer la colère dans le cœur de ces gens. Et cette colère, on aura à la subir, tôt ou tard. Dans dix ans. Dans cent ans. Un jour. Cette conquête n'est pas viable. Elle porte en elle les germes de la défaite. Ce n'est pas en la prenant de force qu'on contraint une femme à vous aimer.