AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ASAI


Etonnant, à plusieurs titres.
Etonnant dans le style. Dans les premières pages, jusqu'à la moitié environ, il me paraissait que le style était bâclé, facile, écrit un peu « à la va comme je te pousse » et cette impression m'a mise mal à l'aise, habituée que j'étais maintenant à d'autres créations de l'auteur, une écriture autrement ouvragée, léchée, réfléchie. Et puis, j'ai compris que ce style était voulu par son auteur. En effet, le roman débute sous la forme d'un journal quasi quotidien, donc, tenu par le « héros » ou personnage principal, ce professeur de latin, en vacances dans une petite station en fin de vie, tombée dans l'oubli et ayant oublié de se mettre au goût du jour, et ce personnage fade, fadasse, sans style, sans allure, jette sur les pages d'un cahier qu'il reprend vingt-huit ans après, des notes, des impressions. Ce personnage étant sans caractère, sans personnalité, sans style, les notes ainsi crayonnées sont à l'image de leur auteur.
Etonnant dans les personnages. le principal est d'une fadeur. Il faut oser ainsi faire porter son roman sur un personnage sans caractère, sans personnalité, sans saveur, dont la vie est vide. Un vide absolu, sans amour, sans foi. Plus vide que le néant.
Etonnant car autour de ce vide personnage, gravitent des figures que Sandor Marai décrit dans des détails physiques, sociaux, psychologiques, les plus raffinés. D'abord Timar, dans la première partie du livre, puis Meszaros, son collègue du lycée qui a une relation adultérine et qui se perd dans l'addiction au jeu, le concierge du lycée, et bien sûr ses élèves. Et d'autres encore, plus en retrait dans le livre. Ces portraits sont savoureux, tant l'observation est fine et leur récit réaliste, et atemporel.
Etonnant car l'auteur montre (une fois de plus, cf. Les Révoltés ou Les Braises) une maturité surprenante. Lorsqu'il écrit Premier Amour, il n'a pas vingt-huit ans. Or il narre avec une infinie précision, une justesse assez ironique et un cynisme implacable, le vieillissement d'un pauvre bougre de cinquante quatre ans.
Etonnante enfin la structure du roman. le roman est coupé en trois parties majeures (je ne parlerai donc pas des mineures). La première se déroule sur trois semaines en août (1911 ou 1912), lorsque le professeur est en vacances dans une station de villégiature tombée en ruines, plus ou moins. Il goûte à la solitude, plus ou moins, s'essaye à des relations sociales, plus ou moins, tente un recueillement religieux, plus ou moins, et rencontre un type apparemment encore plus mal en point que lui, et plus jeune, qui lui « dicte » : soit ta vie est le vide de la solitude, soit tu as deux remèdes, l'amour ou Dieu. Et il lui raconte qu'il a fui l'amour, absolument lâchement, honteusement, alors il ajoute, « surtout ne fuis jamais ». Or notre professeur de héros a déjà fui.
Puis, on comprend que l'on entre dans la seconde partie du roman. le professeur a terminé ses vacances, la rentrée scolaire se déroule, et Sandor Marai nous amène vers une sorte de « retour à la normale ». Les cours, les élèves, le directeur, les promenades, les collègues, etc… On s'ennuie presque, en tant que lecteur, on s'assoupit…
Sauf que Sandor Marai prépare la rupture, le basculement. Et le voilà soudain. Et là, à la fois la chute dans la tragédie et la cruauté a été préparée et à la fois elle est violente. Car, enfin, dernière partie du roman, son personnage principal, son héros, sociopathe, ça on l'avait compris, sombre dans la folie et la psychopathie. Cependant, l'auteur nous narre cet anéantissement avec un humour cynique qui allège le côté cruel et lamentable.
Dernier étonnement, Sandor Marai nous laisse sans réponse (que devient le professeur et que devient son élève ?)
Une lecture étonnante, je ne suis pas certaine que pour découvrir cet auteur magnifique, il faille débuter par ce Premier Amour. Ce dont je suis sûre c'est que lire Sandor Marai est une bien belle chose.
Commenter  J’apprécie          129



Ont apprécié cette critique (12)voir plus




{* *}