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Citations sur Bomarzo (12)

Il toucha un ressort que je ne vis pas et un panneau de bois coulissa contre le mur. Il y avait à Bomarzo des couloirs et des chambres secrètes dont même les propriétaires ignoraient parfois l’existence, si vieux était le château ! Aux XIIe et XIIIe siècles par exemple, plus de cent propriétaires, descendants des nobles francs et lombards qui l’avaient habité dans le passé, vivaient sous le gouvernement d’un vicomte, d’un vice comes Castri Polimartii ; héritiers minuscules – dans certains cas leurs possessions n’atteignaient que la cinquantième partie de la seigneurie – entassés dans une promiscuité batailleuse, ils se détruisaient mutuellement pour des bagatelles et avaient multiplié les cachettes, percé les murailles de toutes parts pour se protéger les uns des autres et garder leurs médiocres trésors dans des terriers obscurs. Quand plus tard Bomarzo m’appartint tout entier, je découvris moi-même un passage souterrain qui faisait communiquer le château et le Bois Sacré dans la vallée et j’en fis grand usage.

Dans la cavité ouverte par le glissement du panneau travaillé, je ne vis qu’une épaisse obscurité. Mon père prit un candélabre, alluma les trois bougies et me poussa à l’intérieur. Il posa les lumières sur le sol et à leur éclat je découvris une pièce basse et vide, sans fenêtre, et qui sentait le moisi. Comme je me retournais pour implorer miséricorde, le regard de mon père et le mien se croisèrent une seconde ; il paraissait hésiter. Qui sait ? Peut-être en cet instant fugace perçut-il ce je-ne-sais-quoi qui émanait de moi comme un présage voilé ; mais il se reprit dans l’instant et la porte s’ajusta à l’ouverture. Je restai seul.

La pièce était complètement vide à l’exception d’une masse allongée à l’extrémité opposée ; j’approchai craintivement et poussai un cri. De même que dans le grenier aux coffres, ma voix stridente résonna sur les murs et se mêla à des éclats de rire que j’entendis dans la pièce où était resté mon père ; mais ce n’étaient pas seulement les siens, Girolamo était là sans doute, jouissant avec lui de ce qu’ils prenaient pour une bonne farce.
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Sandro Benedetto, physicien et astrologue de mon parent Nicolas Orsini, le célèbre condottiere qui, après sa mort, fut comparé aux héros de l’Iliade, dressa mon horoscope le 6 mars 1512, jour où je naquis à deux heures du matin, à Rome. Trente-sept années auparavant, en 1475, également un 6 mars, également à deux heures du matin, Michel-Ange Buonarroti avait vu l’inquiète lumière du jour dans un hameau étrusque. La concordance ne dépasse pas la coïncidence fortuite des heures et des dates. En vérité, les astres qui présidèrent à nos apparitions respectives sur l’échiquier de la vie y disposèrent les pièces pour des parties bien différentes. Quand Buonarroti naquit, Mercure et Vénus s’élevaient, nus et triomphants, vers le trône de Jupiter. C’était le bal du ciel, la contredanse mythologique qui reçoit les créateurs presque divins. La gloire attendait celui qui ouvrait les yeux sous la splendeur du firmament, salle illuminée de tous ses candélabres entre lesquels, transparents, cérémonieux et lents, les dieux voguaient dans l’air scintillant. Quand je naquis, au contraire, Sandro Benedetto signala d’importantes contradictions dans la cartographie de mon existence. Certes, le Soleil, dans le signe de l’eau, renforcé par mon aspect favorable face à la Lune, me conférait des pouvoirs occultes et la vision de l’au-delà, de même qu’une vocation pour l’astrologie et la métaphysique ; certes, Mars, régent primitif de la Maison VIII, celle de la Mort, de même que Vénus, sa régente occasionnelle, étaient installés – Benedetto le souligna avec insistance – dans la maison de Vie, annulant ainsi leur pouvoir de mort ; de plus, leur aspect favorable par rapport au Soleil et à la Lune semblait m’accorder une vie sans limites, ce qui étonna ceux qui virent le manuscrit décoré ; Vénus, en bonne position face aux luminaires, indiquait une disposition pour les inventions subtiles de l’art. Mais il est aussi effroyablement vrai que le maléfique Saturne, agressivement placé, présageait pour moi des malheurs infinis sans que Jupiter, impuissant face à l’ingrate disposition des planètes, réussît à neutraliser ces infortunes annoncées. Ce qui étonna surtout le physicien Benedetto et tous les connaisseurs en ces graves choses qui virent l’horoscope fut, comme je l’ai déjà dit, la mystérieuse absence de terme à la vie – à ma vie – qui se déduisait de l’annulation de Vénus et de Mars (contredisant la nécessité logique de la mort) et, par conséquent, l’hypothétique et absurde projection de mon existence tout au long d’un espace illimité. Je sais que quelques experts critiquèrent le travail prolixe de Benedetto, dont je fis copier à fresque, un demi-siècle plus tard, les signes et les figures splendides dans une des pièces principales du château de Bomarzo. Ils alléguèrent que cette combinaison était impossible, mais la science de son auteur, tant de fois démontrée, ferma leur bouche bougonne.

(INCIPIT)
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