Citations sur Les aventures alsaciennes de Sherlock Holmes (20)
— Vous avez des ennuis domestiques, madame Jordan, dit alors Holmes.
Oui, notre employée pour le gros œuvre, Berthe, a encore…
Le sourire de notre hôtesse se figea.
— Mais comment savez-vous ?
— C’est élémentaire, chère madame, répondit mon ami. J’ai trouvé dans le couloir un tapis qui n’a pas été battu depuis longtemps. De plus, le tiroir de votre poêle déborde de cendre et dans le coin gauche de la fenêtre, j’aperçois une magnifique toile d’araignée. Néanmoins, le linge de table, les meubles et la vaisselle sont impeccables. Cela signifie donc que la personne en charge des gros travaux n’a pas pu venir…
Jordan éclata de rire, suivi du sourire ébahi de sa tendre moitié.
— Votre réputation n’est pas usurpée, ma foi ! L’analyse est excellente !
— Je plains de tout cœur la maîtresse de maison négligente, ajouta Eugénie Jordan.
— Ou le mari adultère, ajouta Jordan non sans me lancer une œillade.
— Je te présente mon ami Sherlock Holmes, je t’en ai parlé souvent.
— Monsieur Holmes ! Grâce à John, je sais tout de vos enquêtes ! Et vous êtes même devenu populaire en Alsace. C’est un honneur de vous recevoir sous notre modeste toit !
— Le plaisir est pour moi.
Bien que froid et réservé, Holmes n’était pas insensible à la flatterie. Ses joues creuses daignèrent rosir de plaisir.
— Nous n’irons pas jusqu’à assassiner quelques quidams pour vous rendre service, mais cela me ferait plaisir de participer à l’une de vos enquêtes, monsieur Holmes, ajouta le médecin.
— William, vieille branche, je te préviens, mon ami est au repos absolu ! Pas d’enquête, pas de crime. Et ta cheville doit se reposer aussi !
Holmes pouffa de rire et le Dr Jordan agita ses grandes mains charnues en guise de réponse. Le médecin habitait chez ses beaux-parents alsaciens, les Weber, partis eux-mêmes en villégiature en Forêt-Noire. Ils avaient emmené avec eux les deux enfants du couple, Percy et Rebecca, de faux jumeaux de cinq ans dont Jordan était très fier car c’était une rareté pour le corps médical.
— C’est une ville étrange, Watson. Elle me donne toujours l’impression d’être assis entre deux chaises, fit mon ami. Voilà une région qui aura connu un destin bien mouvementé. Devenue française par la volonté du Roi-Soleil, l’Alsace est aujourd’hui allemande, sous l’autorité de Guillaume II. Combien de temps encore ?
— L’influence allemande y est pourtant bien nette, répondis-je.
Holmes allait ajouter quelque chose quand le Dr Jordan vint au-devant de nous
Nous étions invités à séjourner chez un de mes anciens camarades de faculté, le Dr William Jordan dont l’épouse était née dans la capitale alsacienne. En ce 1er mars 1898 nous arrivâmes à la gare de Strasbourg sous un soleil timide. Je remarquai tout de suite le haut-de-forme luisant de mon confrère et camarade dans la foule qui attendait sur le quai. Seul un gentleman anglais pouvait arborer un tel couvre-chef, là où les Strasbourgeois, vêtus à la coquette mode allemande, préféraient des feutres vert bouteille et des casquettes brunes.
Il est vrai que je revenais alors d’un séjour à la campagne, dans la famille de mon épouse défunte. Chaque fois que je m’absentais, je pouvais être sûr de retrouver mon ami dans un état épouvantable, perdu dans ses pensées après une nouvelle injection de cocaïne, son Stradivarius jeté sur le tapis et des monceaux de papiers éparpillés un peu partout dans le salon de notre appartement de Baker Street.
Le jour de notre départ, Mrs Hudson, notre charmante logeuse, me serra affectueusement le bras puis elle fourra dans ceux de Holmes un énorme panier à provisions en osier.
— Pour la route, monsieur Holmes ! Ce voyage vous fera le plus grand bien. Vous n’avez pas bonne mine, à force de tourner en rond dans le séjour.
Holmes lui adressa un sourire épuisé et je remarquai à quel point il était maigre et pâle. Puis elle me murmura en confidence :
— Je compte sur vous, docteur, pour le faire manger.
Mon ami ne se rendit pas sans nostalgie dans cette ville qui lui rappelait le souvenir du professeur Moriarty, son pire ennemi mais aussi son plus grand admirateur. D’avoir perdu un tel adversaire l’avait rendu un temps fort mélancolique ; il me fallut détourner bien des fois les yeux quand ses longs doigts minces se tendaient vers l’étui de maroquin vert, à la recherche de sa seringue.
Nos lecteurs ne le savent sans doute pas, mais nous avons passé quelques semaines fort instructives en Alsace, à la fin de l’hiver de l’année 1898. Nous avions fait une première fois halte à Strasbourg en 1891, année funeste entre toutes, où Holmes avait disparu dans le gouffre suisse de Reichenbach pour réapparaître, sain et sauf, trois ans plus tard.
Depuis que mon ami Sherlock Holmes est retiré dans sa ferme du Sussex au milieu de ses abeilles, son tempérament a beaucoup perdu de son mordant et il daigne enfin me laisser accéder à sa malle de « cas inédits », notamment quelques affaires étranges dont il avait jusque là refusé que j’en fisse le récit.
Depuis que mon ami Sherlock Holmes est retiré dans sa ferme du Sussex au milieu de ses abeilles, son tempérament a beaucoup perdu de son mordant et il daigne enfin me laisser accéder à sa malle de "cas inédits", notamment quelques affaires étranges dont il avait jusque là refusé que j'en fisse le récit.
Nos lecteurs ne le savent sans doute pas, mais nous avons passé quelques semaines fort instructives en Alsace, à la fin de l'année 1898.