Apis Apocalypsis, tome 2 : Réanimation

Je ne suis même pas sûr qu'elle ait vu le dénouement de notre affrontement. Elle est tel un animal sauvage retenu en cage, battu et brisé. Elle a saisi sa chance au vol sans regarder en arrière. Je regrette tant de choses, cependant lorsque mon regard se pose sur le bureau des horreurs, j'ai le cœur plus léger. Son tortionnaire ne la touchera plus, ni elle ni aucune autre petite fille innocente.

C'est pour cette raison que le deuil est si difficile, parce que le deuil est synonyme de solitude, de gouffre et de vide. Le deuil est un abîme sans fond dont on doit sortir seul, par sa propre volonté. Rien ni personne ne peut le soulager. Seul le temps panse les blessures et apporte le recul nécessaire pour reprendre pied.

Je crois que c'est bien la vingtième fois qu'ils m'interrogent. je serre les poings sous la table pour dissimuler mon agacement et ma colère. Je fais montre d'une patience qui n'est pas mienne. Je retiens les milliards de questions qui m'obsèdent derrière mes lèvres scellées. Deux miliciens s'approchent de moi par-derrière pour me signifier la menace, tandis que le chef de la Milice tapote, d'un mouvement régulier et totalement inconscient, son index sur l'acier froid entre nous. Une carte s'étend sur le plan de travail, mais il garde son regard plongé dans le mien. Il cherche à déceler la moindre fourberie de ma part.
Il n'y trouvera rien.
Je ne baisse pas les yeux.
Je scrute les traits rigides de son visage, ses rides et sa posture, en me demandant ce que Lexie li trouve.

- Bon, récapitulons : ils sont en surnombre, surarmés, surentraînés, sur-préparés, sur-claquemurés et nous on n'a pas de plan.
- Voilà, c'est ça. Tous ces « sur », c'était pour l'effet dramatique ?
- On est complètement givrés, souligne-t-elle.
- Audacieux ? Résolus ? Animés ?
- Givrés quoi.

- J'veux pas faire mon rabat-joie, mais normalement, on n'est pas censé garder ces ampoules au frais ? Ils seraient pas un peu nazes vos scientifiques ? Ah si, on dirait des boîtes réfrigérées, pardon.
- Arrête de toucher à tout et viens choisir ton arme.
- J'arrive, dis-je refermant hermétiquement la boîte. C'est des sérums contre quoi exactement ?
- La syphilis.
Je fronce les sourcils en cherchant à me rappeler de quoi il s'agit, je suis presque sûr d'en avoir déjà entendu parler. Puis je me souviens et secoue la tête.
- Oh punaise, Ghali, tu fais de l'humour là ?
- T'es pas très bon public.
- T'es surtout nul, oui ! La syphilis. J'ai failli te croire en plus.
Il ricane dans son coin, sincèrement fier de sa connerie. Mes lèvres s'étirent d'elles-mêmes, plus réceptives que j'aimerais l'avouer.
- La naïveté, c'est un trait récurrent chez toi. C'était facile.

- Allez, ressaisis-toi Brieg. Vois le bon côté des choses ! Tu as le temps de peaufiner ton plan !
- Quel plan ? Tu vires à la démence là ! Tu causes tout seul maintenant.
- C'est pas faux.