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Critique de lanard


L'histoire a retenu le nom de Sigmund Freud comme le découvreur de l'inconscient ; que reste-t-il de cette découverte au temps des neurosciences triomphantes ? Ces dernières peuvent-elles mettre en évidence l'existence d'un inconscient ? Et au cas où la neurologie mettraient en évidence l'existence d'un inconscient, celui-ci est-il comparable à l'inconscient tel de Freud l'a découvert ? Telles sont les questions à laquelle tente de répondre cet essai de Lionel Naccache neurologue à l'hôpital La Pitié-Salpêtrière et chercheur en neurosciences.


Le grand mérite de la démarche de Lionel Naccache est d'apporter des éléments substantiels à un débat qui est en train de prendre la forme caricaturale d'une querelle de chapelles qui opposerait des psychanalystes « charlatans » à des psychiatres « stipendiés par l'industrie pharmaceutique ». Il existe des psychanalystes qui ne méprisent pas les neurosciences comme il existe des neurologues qui considèrent la psychanalyse avec respect. Lionel Naccache est de ceux-là. Il est un lecteur attentif de Freud. Dans cet essai, il rend un hommage au médecin viennois qui avait délaissé la recherche neurologique pour inventer la psychanalyse une thérapie fondée sur la parole en mettant de côté, sans jamais les rejeter, de toutes approches somatiques de la vie mentale.

C'est que Freud au début de sa carrière de médecin s'intéressait de très près à la biologie du système nerveux. Mais il a abandonné ce terrain de recherche sous l'influence des nouvelles théories de l'hypnose. C'est en s'intéressant aux travaux sur l'hystérie de Joseph Brauer à Vienne et de Charcot à Paris que Freud en est venu à conceptualiser l'inconscient pour inventer sa psychothérapie analytique. Celle-ci est fondée sur la parole du patient et sur l'interprétation de signes (actes manqués ou rêves) venu de cet inconscient. C'est ce dernier concept que Lionel Naccache examine à la lumière de la neurologie d'aujourd'hui.

Lorsqu'il veut mettre en évidence l'existence d'un inconscient neurologique, l'auteur ne part pas de zéro. Depuis longtemps, on a observé des phénomènes relevant de l'inconscient. le premier d'entre ces phénomènes est le très banal réflexe rotulien que chacun d'entre nous rencontré sous le coup de marteau du docteur. Mais la neurologie en connait bien d'autres qui furent découvertes à l'examen de patients victimes de certaines lésions cérébrales. Ainsi il existe un forme de cécité appelée cécité corticale (en anglais, blindsight, la vision aveugle). Ces malades, dont les yeux et les nerfs optiques sont pourtant fonctionnels, sont incapables de voir un objet lorsque celui-ci se trouve dans une certaine partie de leur champ de vision. Une certaine zone de leur cerveau, lorsqu'elle est lésée les rend incapable de voir ce qui se trouve dans cette partie de leur champ visuel. Or il existe un autre canal qui ne passe pas par le nerf optique qui transporte des informations visuelles dans une autre partie du cerveau (l'amygdale) sur la zone occultée. Des expériences menées avec ces patients montrent que les informations issues de ce second canal sont bien intégrées par le cerveau. le fait extraordinaire est que ces informations échappent à la conscience du patient. Seul un dispositif expérimental permet de mettre en évidence cette information inconsciente du cerveau. Il n'y a pas la place ici pour rendre compte de ces expériences qui prouvent l'existence d'objets inconscients dans le psychisme : c'est une tâche difficile que Lionel Naccache mène à bien dans ce livre avec un sens de la complexité qui n'enlève rien au caractère spectaculaire des faits qu'il nous dévoile.

Après avoir caractérisé ces phénomènes neurologiques qui sont révélateurs de processus inconscients dans le cerveau, Lionel Naccache en s'appuyant sur les textes de Freud nous fait un exposé des principales caractéristiques du concept d'inconscient dans la théorie psychanalytique. Enfin il compare, point par point, ces deux concepts d'inconscient ; celui de la neurologie et celui de Freud.

Certains traits bien connus de l'inconscient freudien ne résistent pas à la comparaison. Ainsi la possibilité d'existence de souvenirs inconscients remontant à l'enfance est balayée : des contenus psychiques inconscients existent mais ils ne restent pas en mémoire. L'idée de refoulement inconscient aussi est réfutée par la neurologie ; ce livre montre clairement qu'un acte de censure telle que le refoulement ne peut être que conscient et non inconscient comme le voulait Freud dans le dernier modèle de sa théorie.

Au vu de ces résultats, Lionel Naccache se défend d'écrire à charge contre la psychanalyse. Dans la dernière partie de cet essai, il entend distinguer entre une théorie qu'il estime fausse et une pratique psychanalytique dont il entend montrer des effets positifs. Tel Christophe Colomb qui crut arriver aux indes, Freud avait cru découvrir l'inconscient alors qu'il avait en fait découvert une autre approche de l'étude de la vie consciente. Pour Lionel Naccache, Freud était un observateur hors-pair de vie psychique de ses patients. Il rend hommage au médecin viennois de n'avoir pu se satisfaire d'une approche strictement biologisante du psychisme que la biologie et la technologie de son temps n'était pas prête à étudier avec la finesse qu'autorise les outils du XXIè siècle (IRM, tomographie à émission de positrons etc.). Bien qu'athée et fort éloigné des pensées dualistes ou des théories de l'âme indépendante du corps, Freud ne pouvait se résoudre à réduire l'esprit à un tas de neurones. Comme médecin cette approche ne lui permettait pas de soigner. En inventant une nouvelle manière d'écouter ses patients, en attachant de l'importance à leur parole, Freud fut conduit à imaginer une partie de l'esprit où la conscience n'avait pas court. Il nomma inconscient cette entité théorique mais commis l'erreur de lui donner des attributs qui appartiennent à la vie consciente. le tort de Freud est d'avoir conceptualisé un inconscient anthropomorphe alors que l'observation scientifique ne met en évidence que différentes formes d'inconscient qui n'ont pas de mémoire à long terme et qui sont incapables de « refouler » des pensées anxiogènes.

Mais alors, si elle soigne, comment la psychanalyse soigne-t-elle puisque la théorie est fausse ? Dans un chapitre dont le titre a comme une petite résonance proustienne « La conscience retrouvée » Lionel Naccache développe avec des arguments neurologiques une vision de l'espèce humaine en laquelle Nancy Huston reconnaîtra « L'espèce fabulatrice ». Ici l'essayiste nous entraîne sur un terrain philosophique déjà bien balisé par des philosophes tels que Paul Ricoeur par exemple. L'esprit humain est une sorte de machine à interpréter le réel. Nos productions langagières, aussi bien les oeuvres de fictions que les paroles d'un patient sur un divan sont des fictions, c'est-à-dire, des sortes de théories qui mettent en mots un réel qui, à la fois nous dépasse et qui à la fois constitue notre seul cadre existentiel. Les fictions des grands artistes ne nous impressionnent que par une audace dont nous nous pressentons incapables. Pour autant nous n'en avons pas moins recourt aux mêmes outils fictionnels dans notre vie quotidienne. Dans un tel contexte théorique, l'art du psychanalyste ne consiste pas à décoder dans la parole les symptômes d'une vie inconsciente pour, en les rendant conscients, en supprimer les effets pathogènes. Il consiste, au contraire à guider le patient dans sa vie consciente pour l'amener à la reformuler dans un nouveau récit. Concluons en citant les dernières phrases de cet essai : « La psychanalyse freudienne me semble véhiculer cet art de composer notre existence sous la forme de ce roman sans cesse révisé que nous n'achevons jamais d'écrire. Freud avait-il fini par réaliser lui-même le niveau de réalité – psychique et non objectif – ce qu'il venait de mettre au jour ? J'ai exposé certains indices, notamment dans l'évolution de son rapport aux neurosciences, qui me laissent penser qu'il avait l'intuition de la signification véritable de sa découverte, mais ceci est ma croyance, c'est-à-dire une fiction consciente que je ne vous demande pas de prendre pour ce qu'elle n'est pas » !
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