Citations sur On ne se baigne pas dans la Loire (9)
Que la nuit soit d’été ou l’automne hâtif, les vignes vêtues de rouge et inquiètes des gels, que les saules se languissent, pieds secs, ou grenouilles à cœur joie, nos sœurs le savent, et nos frères le martèlent. Tu dois craindre le courant qui te happe.
Puis, furtif, t’engloutit.
On le sait, pourtant.
Héritée de nos mères, de nos pères, c'est la rumeur qui coule dans nos gènes et infuse, sur les pentes des coteaux comme aux plaines du Maine, des berges de l'Authion en corniche angevine, alluvions et roseaux, bras morts et plein lit, c'est cette rengaine avide, bruit lancinant qui attend, au crépuscule là-bas, vers l'estuaire, un monde.
Que la nuit soit d'été ou l'automne hâtif, les vignes vêtues de rouge et inquiète des gels, que les saules se languissent, pieds secs, ou grenouilles à coeur joie, nos soeurs le savent, et nos frères le martèlent. Tu dois craindre le courant qui te happe.
Puis, furtif, t'engloutit.
Et la Loire suit son cours. Dormante et râpeuse, charriant les poissons et les corps. Elle arrive à la mer, un garçon dans ses bras.
Oui (...), Pierre se garde tout seul ; pas le choix. Vous bossez jusqu'à pas d'heure, chacun dans votre coin, pour vous retrouver le moins possible face à face, dans la même pièce que votre mariage naufragé. Vous croyez sincèrement qu'un enfant de sept ans et demi, presque trois quarts, est heureux de prendre son car seul, faire chauffer son lait, préparer son goûter - seul, seul, seul - en attendant que vous daigniez rentrer ?
Ils cul-sèchent leurs bières et avalent le repas en un rien de temps. Puis, repus, l'heure vient de siester un peu. Les minutes s'égrènent. Tof observe, discrètement. Benoît ronflote dans les herbes couchées, arrimé à son sac. Pauline bouquine, Le Lys dans la vallée. Gus fume en se caressant le nombril, un peu de poussière s'est accumulée au creux. Alanguis dans un coin, Kevin et Timothée tripotent leur téléphone. Farid, comme d'hab, joue à la crapette avec Pierre -toujours collés à leur jeu de cartes, ces deux-là. A l'ombre, les autres somnolent.
L'eau sourd, patiemment. Le sable se détache et vient lécher les bords, un tourbillon se forme ; s'effondre sous le poids, emporte le sable, l'eau se brume, rien n'est clair.
Et la Loire suit son lit. Dormante et râpeuse, charriant les poissons et les corps. Elle arrive à la mer, un garçon dans ses bras.
Un poisson a sauté, happant un moustique au passage. Il replonge aussitôt. Un léger plouf.
Le moustique englouti. Puis plus rien que la surface plane de l'eau. Et le calme...Le ciel se fond au fleuve, masse noire immense qui enveloppe jusqu'aux berges.
Que la mer avale.
En surface tout est plan. Août, le liquide dormant, en apparence seulement, est devenu sable par endroits, blanc laiteux à variante terre de Sienne, falun piqueté, et partout l’eau tarie. Un leurre, oui, car en réalité ça vit, là-dedans, là-dessous. Là-côté. Sous la lumière crue, yeux plissés, observer suffit pour comprendre que le flot vibre et s’agite. L’eau coule, plus loin, les ridules contorsionnent, jouent de la lumière et dansent avec les graves, ce tronc échoué et l’aigrette qui s’envole. Ça sourd, flux contraires sans qu’on l’explique vraiment. Partent en biais, souterrains, stagnent en flaque mais surgissent ailleurs, inopinés. La Loire, aimable et sauvage, indomptée.
On le sait pourtant. On ne se baigne pas dans la Loire. Mais Gus Gustave ne s'y baigne pas, il s'y fond. Il devient le fleuve, son eau, coule avec elle et le cours l'emporte vers l'estuaire.
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La Loire, aimable et sauvage, indomptée.
Un martinet frôle la grève puis repart vers les arbres. Peut-être une hirondelle. Éclair fugace, difficile de trancher.Et la lumière, partout, insistante.
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