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Critique de afriqueah


Akhila a décidé, sur un coup de tête après des années et des années où elle a été chef de famille remplaçant son père, travaillant pour faire subsister la famille, fille aimante, puis soeur ainée, tante dévouée, tout, sauf elle-même, de prendre le train.Elle, elle n'a pas eu l'occasion ni le temps d'être elle-même. Elle échappe au chantage et à l'infantilisation de la part de la famille qu'elle nourrit, sous son propre toit.
Et part pour se trouver. Être.
Dans le train de nuit, chacune des cinq autres femmes (puisque nous sommes dans un compartiment pour « femmes, personnes âgées et handicapées » se raconte à la première personne. Akhila écoute, bien qu'elle sache que la vie des autres femmes n'est pas un mode d'emploi destiné à améliorer la sienne, car elle a, quand même, quarante-cinq ans.
Vieille fille.
En termes modernes, nous dirions psychorigide.
Dès le départ, la grande, l'importante question se pose : une femme peut-elle vivre seule ? Vieillir seule n'est-il pas pire que vieillir accompagnée ?

Et si être en couple signifiait justement mourir, perdre son identité, se conformer, y compris entendre des horreurs sur soi-même de la part de ceux dont vous assurez la subsistance ?
C'est ce que le premier récit de Janaki semble dire : après un mariage heureux, la naissance puis le mariage de leur fils vient transformer l'amour en une vague amitié. « Un certain âge. Peut-être qu'il arriva quand elle lut dans les yeux de son fils une irritation proche du dégoût et non plus un amour indulgent. » Et pourtant, bien que ne rajeunissant pas, une vie avec son vieux mari qui prend soin d'elle est envisageable.

Une deuxième femme intervient, jeune, celle-là, Sheela : Elle ne parle pas d'elle, n'ayant pas encore vécu, mais des rapports pervers entre sa mère et sa grand-mère. L'une dépend de l'autre qui lui dit comment faire dans la vie et rester une éternelle enfant, l'autre tenant la dragée haute de son héritage à venir.
Rapports pervers entre une de ses amies et le père d'une autre…
Rapports pervers ou nécessaire d'une mère veuve qui prostitue sa fille, pour pouvoir subsister.

Ces scènes de ménage en Inde sont analysées en détail, de façon tout à fait «  occidentale », où certaines pratiques sont interdites par la société (entamer une relation avec un homme plus jeune, sans être mariée ! Pensons à Gabrielle Russier !)

Et voilà un mari pervers narcissique, dont la femme, Margaret, un peu grosse maigrit… « Pendant des années, confesse-t-elle, «  j'ai été figée à l'état solide. Sous cette forme, ma capacité à agir restait limitée. Je me suis laissée flotter à la surface du temps, indifférente et insensible à ce qu'était devenue ma vie ». La vengeance est un plat chaud et froid qu'elle lui cuisine, si bon qu'il devient gros et perd de sa superbe. Lui qui avait renversé les rôles et l'avait fait considérer comme inconsciente de son bonheur, grosse et stérile (parce qu'il l'a fait avorter), voilà que c'est lui le gros.

La suivante s'appelle Prabha Devi. Un peu à contre sens, ou plus féministe que les autres, cette femme mariée à un diamantaire change en allant avec lui à New York, devient encore plus coquette et égoïste, puis elle se referme comme une huitre, lorsqu'elle s'aperçoit que ses mimiques charmeuses ont éveillé le futur viol d'un ami… puis, enfin se trouve en allant nager… et en mentant à son mari sur le sujet. L'indépendance, mais à quel prix ? Sera-t-il toujours à la soutenir, alors qu'elle a prétendu n'avoir pas besoin de lui ?

Où est le juste milieu, l'équilibre ?

Après la question de vivre sa vieillesse seule ou non, la question de vivre seule ou non, Anita Nair pose la question du désir féminin «  Cette nuit-là, elle sentit se défaire un minuscule noeud de désir. Un épanouissement des sens. Une éclosion des sensations. Une pulsion teintée d'audace qui lui fit appuyer son corps contre celui de son mari. »

Entre temps, Akhila se remémore la rencontre avec une amie d'enfance, veuve et enchantée de l'être : «  Tu préférerais que je m'habille de blanc et que je ressemble à un cadavre ambulant, prête pour le bûcher funéraire ? »

Sans doute pour ne pas paraitre trop féministe, la dernière histoire est celle d'une victime née victime, violée, muette, aggravant son cas et ne soulevant pas du tout la sympathie. (Ceci est ma vision, tout à fait personnelle)

Finalement, ce roman indien m'a paru d'une modernité étonnante, d'une profondeur dans l'analyse des rapports entre hommes et femmes, d'une réflexion sur la solitude, la vieillesse, et le désir féminin, réflexion universelle, même si en Inde la société pèse encore plus avec ses mariages arrangés, que j'ai souligné presque toutes les pages qui me paraissaient actuelles.
Depuis Bangalore jusqu'au sud de l'Inde, Anita Nair nous convie à ces plats indiens dont un petit dictionnaire final nous donne la clef.

(Extirpé de ma bibliothèque, avec les pages du milieu décollées, grâce à Berni_29.)

Avec une écriture juste exprimant la moelle.
Car la vraie question, c'est : comment être soi ? comment échapper à l'enfance ? comment devenir adulte ? comment aimer en toute indépendance ?
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